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Avant les Américains, les Russes Normandie Deauville (Salle Elie de Brignac) 04/14/2018 - Alfred Schnittke : Concerto grosso n° 1 pour deux violons, clavecin, piano préparé et cordes
Dimitri Chostakovitch : Concerto n° 1 pour piano, trompette et orchestre à cordes, opus 35 Amaury Coeytaux, Omer Bouchez (violon), Philippe Hattat (clavecin et piano préparé), Bertrand Chamayou (piano)
L’Atelier de Musique
(© Stéphane Guy)
Les 14 et 15 avril avait lieu à Deauville le quinzième festival «Livres&Musiques». A vrai dire, consacré cette année à la «Révolte dans l’art», il était bien peu question de musique. Mai 68 paraissait plus à l’honneur, ce qui à Deauville ne manque pas de piquant. Pour la musique, il fallait évidement se rendre au festival «de Pâques» débutant aux mêmes dates et malheureusement toujours sans coordination avec le premier. La programmation de sa vingt-deuxième édition, judicieusement calée sur les week-ends et les vacances parisiennes, est en effet une des plus intéressantes qu’on ait vue depuis longtemps. Si, sous la direction fidèle et ferme d’Yves Petit de Voize, les principes de la charte initiale du festival demeurent – chaque concert doit être consacré à un chef-d’œuvre, une œuvre moins connue et une œuvre du vingtième siècle de la musique de chambre –, la place de la musique de notre temps au cours des neuf concerts proposés du 14 au 30 avril 2018 est cette année renforcée, avec des pièces originales ou rarement données, voire des créations.
Le premier concert débute, à l’heure, avec une œuvre déconcertante, le Premier Concerto grosso (1977) d’Alfred Schnittke (1934-1998): le titre, les intitulés des mouvements, les citations ou références explicites à Vivaldi ou surtout Corelli, l’instrumentarium, faisant clairement référence au baroque, et cette absence apparente de style personnel, frisant parfois la caricature, comme cette impression de vagabondage incertain, ne disent tout d’abord rien qui vaille. Mais ce n’est pas un pastiche et on se laisse rapidement prendre par ce kaléidoscope musical, son efficacité et son énergie, son caractère effronté qui se moque des modes et son écriture raffinée. Les interprètes y sont pour quelque chose. Il n’y a pas de chef, les deux violonistes solistes, Amaury Coeytaux et Omer Bouchez, tournent le dos à l’orchestre. Pourtant le résultat est plus que probant, le travail de préparation, millimétré, ayant manifestement été intense. Si le piano préparé, qui n’apparaît qu’au début et à la fin, donne une touche contemporaine radicale, c’est surtout le jeu des deux violonistes qui frappe, se répondant, s’entremêlant, se retrouvant dans un jeu virtuose où l’humour et la vulgarité sont transcendés par la qualité des interprètes.
Après une pause permettant au maire de la ville, Philippe Augier, et au président de la Fondation Singer-Polignac qui accueille en résidence les musiciens, le professeur Yves Pouliquen, de l’Institut, de rejoindre sous nos yeux France Musique qui diffuse le concert en direct, il est permis d’entendre le Premier Concerto pour piano, trompette et orchestre cordes (1933) de Dimitri Chostakovitch (1906-1975). On y retrouve avec plaisir Bertrand Chamayou au piano. Agé aujourd’hui de trente-sept ans, fidèle du festival où il est arrivé fort jeune, a été coopté par sa première génération et il est venu une dizaine de fois, il parcourt le monde et poursuit maintenant une carrière prestigieuse. Cela ne l’empêche pas de retrouver régulièrement Deauville où il a fait ses débuts, et dans des œuvres finalement à chaque fois variées, montrant l’étendue de son répertoire et de sa curiosité. Avant le concert «américain» du lendemain, il s’attaque ainsi à une œuvre russe lumineuse émaillé d’humour et de grotesque. L’œuvre est d’un abord facile et Amaury Coeytaux a à peine besoin de signaler les attaques du violon sous le regard très attentif de Bertrand Chamayou. Mais la partie de celui-ci nécessite quand même des moyens digitaux exceptionnels, une force de frappe en quelque sorte. Bertrand Chamayou fait naturellement face sans problème, dégageant une énergie étonnante. Sa puissance et la précision de son toucher sont confondants. La remarquable trompette de Célestin Guérin ne parvient décidément pas à le faire trébucher. Les cordes sont sans doute un peu vertes mais leur ardeur dans les mouvements extrêmes ne les empêche pas de participer parfaitement au lyrisme paisible du deuxième mouvement, Lento.
Malgré des conciliabules, il n’y a finalement pas de bis pour conclure ce concert, un peu court et donné devant un public qu’on aurait aimé plus nombreux et où la jeunesse est curieusement absente malgré l’existence d’ateliers pédagogiques organisés par l’association Les Amis de la musique à Deauville avec le collège Charles Mozin de Trouville.
Stéphane Guy
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