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Extases début de siècle

Strasbourg
Opéra national du Rhin
12/08/2017 -  et 10, 14, 19, 23, 28 décembre 2017 (Strasbourg), 6, 8 janvier 2018 (Mulhouse)
Riccardo Zandonai : Francesca da Rimini
Saioa Hernández (Francesca), Josy Santos (Samaritana), Ashley David Prewett (Ostasio), Marco Vratogna (Giovanni Lo Sciancato), Marcelo Puente (Paolo II Bello), Tom Randle (Malatestino), Francesca Sorteni (Biancofiore), Marta Bauzà (Garsenda), Claire Péron (Altichiara), Fanny Lustaud (Adonella), Idunnu Münch (Smaragdi), Stefan Sbonnik (Ser Toldo Berardengo), Dionysos Idis (Le ménestrel), Sébastien Park (L’arbalétrier), Fabien Gaschy (Le guetteur)
Chœurs de l’Opéra national du Rhin, Orchestre philharmonique de Strasbourg, Giuliano Carella (direction musicale)
Nicola Raab (mise en scène), Ashley Martin-Davis (décors et costumes), James Farncombe (éclairages)


(© Klara Beck)


Quel poème d’amour écrire à l’opéra, après Tristan et Isolde de Wagner ? Ce fut longtemps un défi, que seul Pelléas et Mélisande put relever, mais en explorant des voies radicalement différentes. D’autres n’ont pas su tricher avec autant de brio que Debussy, raison vraisemblable de l’oubli dans lequel sont longtemps tombés leurs propres tentatives. C’est le cas évident du Roi Arthus de Chausson en France, et de l’autre côté des Alpes, pour Francesca da Rimini de Zandonai, qui peut passer à bien des égards pour une sorte de Tristan italien. Avec de surcroît pour Zandonai, une sophistication du langage musical encore plus grande que chez Chausson, pourtant déjà fortement contaminé par d’entêtants effluves fin de siècle.


Créé avec grand succès à Turin en 1914, Francesca da Rimini s’inscrit en effet dans un style européen délibérément proliférant, baptisé « Art nouveau » en France et plutôt « Liberty » en Italie. Y compris en musique, arabesques et scintillements, deviennent alors des ingrédients essentiels, dont Zandonai surcharge son écriture avec une évidente délectation. Au risque évident aujourd’hui de paraître daté, suranné. Toutes proportions gardées le sort historique de Francesca da Rimini ressemble à celui de la malheureuse tortue décrite dans le roman A rebours de Joris-Karl Huysmans, dont le propriétaire a incrusté la carapace de tant d’ornements et de pierreries que le pauvre animal en est mort, écrasé sous trop de poids. Le poète italien Gabriele d’Annunzio, autre mémorable exemple de flamboyance proliférante, dont l’une des pièces, notablement resserrée, a servi de livret pour Francesca da Rimini, possédait d’ailleurs réellement une telle carapace de tortue incrustée, dans ses propres collections d’objets insolites...


Aujourd’hui le balancier revient dans l’autre sens. On classe des quartiers début de siècle entiers au patrimoine mondial de l’Unesco, Schreker, autre typique ensorceleur décadent, est un compositeur désormais assez couramment rejoué en Allemagne... les défauts d’hier redeviennent des atouts. Et le charme un peu indigeste mais entêtant de Francesca da Rimini revient en grâce, et pas seulement en Italie. Reste cependant à prendre encore davantage de distance avec un contexte historique trop daté, ce que ne faisaient pas du tout les productions notamment de Piero Fagioni à New York ou Giancarlo del Monaco à Zurich et Paris, qui croulaient sous un indescriptible capharnaüm rétro.


A l’Opéra du Rhin le travail de Nicola Raab et Ashley Martin-Davis marque sur ce point un progrès décisif : le vide est fait, ne reste que l’essentiel. Même les couleurs sont évacuées, au profit d’une subtile palette de gris ponctuée de quelques taches rouge sombre. Trois parois neutres, au centre un donjon tournant cylindrique dont on peut voir tantôt l’extérieur tantôt l’intérieur, un peu de mer, dont les vagues peintes viennent baigner le bas des murs, et c’est tout. Les tenues guerrières cultivent avec beaucoup de goût l’allusion médiévale, en ne maniant cottes de maille, casques et ferblanterie qu’avec la plus grande parcimonie, et les costumes féminins sont d’une élégance dont seules quelques touches préraphaélites viennent rehausser la sobriété. Quant à la direction d’acteurs, elle réussit à éviter toute maladresse, ce qui est méritoire (les amants de l’histoire, héritage wagnérien oblige, ont l’amour bavard, avec à la clé un statisme passionné difficile à concrétiser scéniquement). Le début, traité comme un flashback, avec un dédoublement du rôle-titre entre la chanteuse et une figurante, se cherche un peu, mais ensuite la narration acquiert davantage de corps, y compris dans la difficile scène de bataille de l’acte II. Seule déception : la mort des amants, traitée de façon poétique mais qui manque de puissance. C’est peut-être le seul moment de l’œuvre qui requiert une véritable exagération violente, une forme de vérisme brutal que toute stylisation, forcément, édulcore.


Dans ce contexte dépouillé, la luxuriance de l’ouvrage se concentre désormais dans sa partie musicale, ce qui est bien suffisant. A la tête d’un Orchestre philharmonique de Strasbourg des grands soirs, Giuliano Carella accomplit des prodiges, au risque parfois d’en faire un peu trop, du moins pour le volume relativement réduit de la salle, en particulier à l’acte II, où les chœurs saturent nettement. Les moments de raffinement sont plus appréciables, avec une belle mise en valeur de petites formules mélodiques entêtantes qui éclairent la masse orchestrale comme des touches de couleur vive enchâssées dans une enluminure. Au moment de ces passages décoratifs souligner davantage le caractère hédoniste de la chose en faisant jouer certains instrumentistes sur scène, en frac, est une idée de mise en scène un peu discutable, mais qui s’intègre bien à l’ensemble.


Arrivée tard dans le projet, suite à la défection d’Alexia Voulgaridou initialement annoncée, Saioa Hernández est une Francesca à la voix large mais souple, qui assume son personnage avec une véritable autorité. Des graves percutants, zone de la tessiture où les mots passent mieux, achèvent de donner du relief à une composition très crédible. Et c’est aussi cette immédiateté physique qui caractérise le Paolo du ténor argentin Marcelo Puente, séduisantes allures de jeune premier sans rien de convenu dans les attitudes, et timbre superbe. Attention cependant à quelques zones de fragilité qui apparaissent déjà ici ou là, et qui risquent d’augmenter en cas de fréquentation régulière de rôles aussi lourds. Du côté des deux autres frères de la famille, on peut préférer la violence brute et sourde de Marco Vratogna à la neutralité relative de Tom Randle en Malatestino, qui n’arrive pas totalement à habiter son personnage de pervers, lequel devrait paraître encore plus impulsif et ignoble. Très belle équipe de seconds rôles aussi, dont toutes les suivantes de Francesca, nanties de fort jolies voix. Somme toute, distribuer correctement Francesca da Rimini devient aujourd’hui à la portée même de théâtres dotés de budgets assez strictement encadrés. On est à présent curieux de savoir ce que donnera l’ambitieuse production de la Scala de Milan annoncée pour 2018 : ce sera l’étape suivante dans la renaissance d’un ouvrage qui, à l’instar par exemple de La Ville morte de Korngold, devrait progressivement rentrer au répertoire courant.



Laurent Barthel

 

 

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