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L’ouvreur d’âme

Baden-Baden
Festspielhaus
11/05/2017 -  et 14 (Monferrato), 19, 20 (Humlebæk), 22 (Graz), 24 (Ljubljana), 29 (Stockholm) octobre, 7 (Tübingen), 9 (Frankfurt), 11 (Chiasso), 13 (Bern), 18 (Oslo), 20 (Verona), 25 (Luxembourg), 27 (Regensburg) novembre, 2 (Bordeaux), 4 (Paris), 6 (Wien), 8 (Wels), 10 (Warszawa), 12 (Basel) décembre 2017
Joseph Haydn : Sonates pour piano n° 32, Hob. XVI:44, n° 47, Hob. XVI:32, et n° 49, Hob. XVI:36
Ludwig van Beethoven : Sonates pour piano n° 27, opus 90 et n° 32, opus 111

Grigory Sokolov (piano)


G. Sokolov (© E. Berg)


Le passage automnal de Grigory Sokolov à Baden-Baden tourne au rituel annuel : salle bien remplie, allers et retours du pianiste à pas scrupuleusement comptés, silhouette pyramidale voire indéchiffrable tassée devant le clavier, le tout dans une demi-pénombre qui invite à la méditation mais aussi éventuellement, pour mon malheureux voisin de droite par exemple, à une somnolence irrépressible...


Ce qui est en partie nouveau, c’est une tendance systématique à couper court à tout applaudissement. Sitôt la résonance du dernier accord en voie d’extinction, le pianiste attaque l’œuvre suivante ! Ceci évite d’avoir à saluer, voire d’attendre que l’auditoire se calme à nouveau, mais cette manie de l’enchaînement donne aussi l’impression de se retrouver nourri sans aucun répit. Comme si dans un restaurant gastronomique le sublime plat suivant se matérialisait alors qu’on vient à peine de terminer le précédent, sans avoir même eu le temps de poser sa fourchette. En première partie nous voici donc confrontés à huit mouvements de Sonates de Haydn enchaînés, formes dont les barrières deviennent floues voire se fondent en un continuum certes varié mais un peu long. Plus grave, en seconde partie enchaîner les Vingt-septième et Trente-deuxième Sonates de Beethoven, très différentes d’ambiance et d’ambition, devient absurde.


Pour cette Vingt-septième Sonate, on apprécie en tout cas la modération relative du tempo du second mouvement, ce délicieux Rondo souvent joué trop vite, ce qui en tue l’atmosphère. Sokolov prend son temps, ce qui lui permet de bien timbrer la ligne mélodique, au risque d’accentuer un certain sentiment de redite obstinée du thème, ressassement amoureux qui fait cependant partie intégrante de l’esprit intime de ce mouvement. Très beau aussi, le combat de l’Allegro initial, dont les vagues successives s’enchaînent avec un art de la transition jamais pris en défaut. Et puis, surprise aussi, quelques minimes fautes de doigts sur les notes supérieures des octaves, accidents rares mais presque rassurants dans ce contexte de perfection obsessionnelle.


Le portique d’ouverture de la Sonate Opus 111 suit sans césure. Un raccordement direct à notre avis nuisible, mais on ne nous laisse pas le choix. Proportions majestueuses, entrée du thème somptueusement phrasée : là Sokolov devient grandiose. Le jeu thématique, très crypté de toute façon par Beethoven dans ce qui n’a plus rien d’une forme conventionnelle, tourne à l’abstraction, mais le parti-pris est passionnant. Quant à l’Arietta, exposée avec une sonorité nourrie, certaines de ses variations sont jouées vraiment de façon particulière, du fait de la perfection mécanique des trilles, d’une égalité millimétrée presque inhumaine. En dépit d’une relative mise à plat, du fait de cette perfection presque trop uniformisante, force est de rendre les armes devant tant d’incitations à l’exigence, car ici, vraiment, écouter devient aussi un travail. Aimez-le, si vous l’osez, l’éveilleur, l’ouvreur d’âme, le prophète; maïeuticien, mais sans douceur..., écrit André Tubeuf à propos de Beethoven. C’est bien cette rigueur implacable que l’on retrouve dans le jeu de Sokolov, avec un persistant refus de toute édulcoration qui pourrait ici ou là nous détendre, mais c’est tant mieux.


Avant de tels sommets il fallait toute la bonhomie subtile d’un Joseph Haydn pour préparer le terrain. Une première partie toujours très démonstrative techniquement, malgré la plus grande simplicité des textes (Sokolov parvient toujours à nous époustoufler, même dans la façon la plus simple mais toujours redoutablement précise de resserrer un ornement ou de phraser un accompagnement). Début en mineur avec l’intime Trente-deuxième Sonate, dont les phrases délicates s’enroulent successivement, séparées par des traits descendants que Sokolov souligne chaque fois avec un rien de précipitation qui augmente la tension. Majestueuse et grondante Quarante-septième Sonate ensuite, avec son jeu presque ostentatoire autour de l’affirmation de tonalités mineures, très beethovénien déjà. Autre particularité notable : l’absence de mouvement lent. Mais c’est le genre de constatation qui n’apparaît plus clairement quand le pianiste enchaîne autant d’œuvres sans séparation (voir plus haut). Et pour finir la Quarante-neuvième Sonate, qui vaut surtout pour son très tourmenté premier mouvement, franchement Sturm und Drang. La suite est plus anodine et nous fait redescendre à un niveau de simple divertissement, avec toutefois quelques ombres plus méditatives dans le Trio du Menuet conclusif, mais qui ne suffisent plus à capter correctement l’attention. Mais tout à coup le pianiste s’arrête : Entracte !


N’oublions pas la troisième partie, autre tradition immuable dans un récital Sokolov : les bis ! Ce soir il y en aura six, ce qui n’est pas exceptionnel chez lui. Quatre Chopin (un Vingtième Prélude d’une force de frappe peu commune, un incontournable Quinzième Prélude, mais aussi deux ineffables Nocturnes opus 32), le Premier Moment musical de Schubert, et plus curieusement une « Indiscrète » de Rameau dévidée à un tempo tellement rapide qu’on croirait plutôt écouter un « exercice » de Scarlatti.



Laurent Barthel

 

 

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