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Pluie de pianistes en novembre

Strasbourg
Erstein (Musée Würth)
11/12/2017 -  
Robert Schumann : Papillons, opus 2 – Davidsbündlertänze, opus 6
Camille Saint-Saëns : Souvenir d’Italie, opus 80 – Valse canariote, opus 88
Gabriel Fauré : Ballade, opus 19
Claude Debussy : Préludes (Livre I): «Voiles», «Ce qu’a vu le vent d’Ouest», «La Fille aux cheveux de lin» & «La Danse de Puck» – L’Isle joyeuse

Philippe Bianconi (piano)


P. Bianconi (© Benoît Linder)


Que faire à Strasbourg un dimanche de novembre, à l’issue d’une pluvieuse après-midi ? Suggestion : pourquoi pas essayer de trouver le chemin du Musée Würth d’Erstein, situé à une demi-heure de voiture du centre ville ?


D’abord parce que dans ce petit coin de beauté, dissimulé entre autoroutes, voies ferrées, centres commerciaux et bâtisses industrielles, les expositions temporaires sont souvent intéressantes. Mais aussi parce que l’homme d’affaires Reinhold Würth, grand amateur d’art (sa collection de 17 000 œuvres est exposée dans une quinzaine de « Musées Würth » dispersés dans plusieurs pays européens), est également un mélomane ambitieux. Le Musée Würth d’Erstein, inauguré en 2008, abrite ainsi un confortable auditorium de 220 places, tout à fait adapté à des concerts de piano ou de musique de chambre, mais qu’il restait à habiter davantage.


Manifestations ponctuelles d’abord, puis passage à la vitesse supérieure en octobre 2016 avec la naissance officielle du festival Piano au Musée Würth, sous la direction artistique du pianiste français Vincent Larderet. Une première édition passée inaperçue, malgré quelques invités de renom (Philippe Cassard, Michel Dalberto...), en raison de l’éloignement du lieu et d’une visibilité relative seulement. Décalée d’un mois dans le temps (novembre au lieu d’octobre), mieux annoncée, et riche d’une programmation ouvertement prestigieuse (Philippe Bianconi, Nelson Goerner, Herbert Schuch, Vadym Kholodenko, Marc Coppey, Peter Laul...) l’édition 2017 se veut à présent plus représentative. En principe c’est sous cette forme plus aboutie que cette initiative de mécénat culturel devrait se pérenniser dans les années futures.


Les ambitions de Vincent Larderet sont franches. D’abord occuper un terrain quasiment désert (les récitals de piano sont devenus rares à Strasbourg), et de surcroît le coloniser intelligemment, en invitant des artistes de valeur auxquels on laisse la possibilité de s’exprimer dans des programmes moins standardisés qu’ailleurs. Piano essentiellement, récitals et master classes, mais aussi un peu de musique de chambre (avec cette année le violoncelliste Marc Coppey en invité de marque), et même un peu de jazz (le Colin Vallon Trio) : une offre de concerts variée et stimulante, répartie opportunément sur deux week-ends (en semaine arriver à temps au Musée Würth peut relever de l’exploit, du fait d’embouteillages devenus chroniques dans la périphérie strasbourgeoise). Cette formule paraît viable, et si l’on en juge par le remplissage de la salle ce soir (à moitié pleine, c’est un début), la convivialité de l’ambiance et la qualité du public (silencieux et motivé), ce nouveau festival devrait conquérir rapidement une vraie place sur les agendas.


Place ce soir à Philippe Bianconi, merveilleux pianiste qui n’avait plus joué à Strasbourg depuis un mémorable Troisième Concerto de Rachmaninov il y a cinq ans. L’intimité de l’auditorium du Musée Würth autorise d’emblée une immersion totale dans la musique fragmentée de Schumann, représentée ici par Papillons, opus de prime jeunesse, puis les Danses des compagnons de David, cycle plus puissamment charpenté mais qui conserve le même aspect diffracté voire kaléidoscopique. Une écriture qui n’est pas encore très éloignée de celle d’un Schubert mais où tout peut changer au moment même, à la faveur d’une inflexion, d’un sursaut, d’un instant de rêve... Reste au pianiste à faire totalement oublier la virtuosité d’une dangereuse surcharge d’octaves et d’accords, un résultat auquel Bianconi parviendrait peut-être plus brillamment s’il était mieux secondé par le réglage de l'instrument (un Steinway imposant mais qui sonne un peu creux et mat dans le médium, voire dont les graves se désaccordent nettement en fin de première partie). Si les danses les plus robustes manquent de glaise (on reconnaît là l’influence de l’école Casadesus, dont Bianconi demeure aujourd’hui un prestigieux représentant), on reste durablement fasciné par la noblesse du toucher et par l’impeccable tenue émotionnelle des instants plus méditatifs, rêveries d’Eusebius d’une absence totale d’afféterie (l’Innig des Danses, d’une poésie toute simple, est un vrai modèle).


Seconde partie française, avec en particulier quatre superbes Préludes de Debussy (le piano a été raccordé entre temps et sonne mieux, même sous la fantastique puissance de frappe développée par Philippe Bianconi dans «Ce qu’a vu le vent d’Ouest»). L’Isle joyeuse brille et jubile, scrutée au plus profond de ses embûches techniques, et «Poissons d’or», donné en bis, fascine une fois encore par la précision du toucher et une extraordinaire richesse en couleurs. Auparavant quelques pièces plus salonnardes : Souvenir d’Italie et Valse canariote de Camille Saint-Saëns, qui conjuguent virtuosité lisztienne et exotisme de carte postale avec un bonheur variable, et une divine Ballade de Fauré, toujours aussi difficile à appréhender, avec ses ondoiements harmoniques et ses raccords de tonalités inattendus. Même Liszt peina à s’y frayer un chemin au déchiffrage, au point de jeter l’éponge et d’inciter le jeune Fauré à en écrire plutôt une version pour piano et orchestre. La Ballade originale peut sonner paradoxalement plus lourde et massive que la version concertante, et pourtant Bianconi parvient à lui donner une luminosité et une évidence incroyables. Devant tant d’élégance, et même si l’œuvre reste d’un abord malaisé ou du moins nécessite une vraie familiarité avec le style pianistique de Fauré pour en goûter toutes les beautés, on ne peut que rendre les armes.


La soirée se conclut par le cinquième des Chants de l’aube, un Schumann ultime, au plus proche d’une folie dont on ressent les cheminements tortueux, à la recherche d’une résolution qui perpétuellement se dérobe. Silence religieux du public après le dernier accord, dans cet auditorium aux parois sombres, propice à la concentration, avant qu’éclatent des applaudissements nourris.


Avis aux mélomanes alsaciens : le week-end prochain la fête recommence. Variations Diabelli et Sonates pour violoncelle de Beethoven, Carnaval de Schumann, Variations Paganini de Brahms, Miroirs et Trio de Ravel... Il ne reste plus qu’à enclencher les GPS et à trouver d’urgence le Musée Würth d’Erstein !


Le site de Piano au musée Würth



Laurent Barthel

 

 

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