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Entre sortilèges et rugosités

Paris
Théâtre des Bouffes du Nord
10/17/2017 -  
Olga Neuwirth : In the realms of the unreal
Salvatore Sciarrino : Cosa resta
Hilda Paredes : Sortilegio (création)
Iannis Xenakis : Tetras

Jake Arditti (contre-ténor)
Virginie Tarrete (harpe), Laszlo Hudacsek (percussion), Quatuor Arditti: Irvine Arditti, Ashot Sarkissjan (violon), Ralf Ehlers (alto), Lucas Fels (violoncelle)
Benjamin Miller (réalisation sonore, SWR Experimentalstudio)


J. Arditti


A l’occasion de ce dernier volet consacré au Quatuor Arditti, le duo Virginie Tarrete-Laslo Hudacsek a passé commande à la compositrice mexicaine Hilda Paredes (née en 1957) avec Sortilegio pour harpe, percussion et électronique. On peine à percevoir dans cet intermède ouvrant la seconde partie du programme autre chose qu’un empilement de stéréotypes, où la naïveté de la partie électronique redouble plus qu’elle n’enrichit les sons acoustiques émis par les instruments en présence. Les emblématiques Kontakte (1960) de Stockhausen pour les assauts de percussions décuplés par l’électronique et Cantate pour elle (1966) d’Ivo Malec pour le travail sur la harpe ont déjà sondé ce type d’interactions; sans rien perdre de leur fraîcheur.


Trois mesures suffisent à identifier le compositeur de Cosa resta (2017) pour quatuor à cordes et contre-ténor: cette vocalité si caractéristique (déjà à l’œuvre dans Lohengrin et Luci mie traditrici), ces glissandos consentis à fleur d’archet, ces bruissements d’insectes et autres froissements de feuilles à la nuit tombée portent la griffe de Salvatore Sciarrino (né en 1947). Le contre-ténor Jake Arditti (fils du grand Irvine) parvient à juguler sa projection dans les limites de l’audible avant qu’intervienne un fracassant fortissimo, aussitôt démenti par la coda aux sonorités atomisées... sous les sortilèges desquels on ne voudrait jamais sortir. Il est certes possible de reprocher à Sciarrino d’écrire toujours la même musique, mais quelle musique!


Olga Neuwirth (né en 1968) nous a habitués à des gestes plus transgressifs: In the realms of the unreal s’inscrit dans la tradition du quatuor à cordes plutôt que dans la rupture, malgré son aspect composite. L’œuvre se veut un hommage à l’artiste américain (et gardien de profession) Henry Darger, auteur d’un manuscrit richement illustré de quelque 15 000 pages découvert post mortem; on imagine bien André Breton s’enthousiasmer pour cette création marginale, à laquelle l’Autrichienne répond par «une musique qui se distingue par un changement perpétuel, parfois fortement contrasté, entre des textures très différentes de par leur caractère ou leur expression» (Stefan Drees). L’oreille chemine dans un tissage de citations tel le regard en face d’un assemblage de Robert Rauschenberg: une musique d’accompagnement pour une scène de film muet succède aux accents folkloriques magyars à la Bartók avant un détour par une parodie du «grand style». En dépit de certains passages statiques, une pulsation latente et prête à sourdre régit la trame musicale.


Le redoutable Tetras (1983) s’impose comme l’œuvre la plus typée «avant-garde» de la soirée. En proscrivant tout vibrato au profit des glissandos, pizzicatos et tremolos rageurs, Iannis Xenakis (1922-2001) entend conjurer toute sentimentalité associée aux instruments à cordes. Le Quatuor Arditti agrippe l’auditeur au collet et fait montre d’une maîtrise confondante dans cette partition d’une virtuosité folle où, plus de vingt ans après le quatuor à cordes ST/4 (1962), «les instruments sont moins traités en polyphonie qu’en masse sonore» (Harry Halbreich).


Il faut, au terme de cette trilogie, saluer l’immense talent d’Irvine Arditti. Sa justesse rythmique et d’intonation, son répertoire d’une diversité non pareille comme sa faculté de s’entourer d’excellents artistes – ainsi que l’atteste la dernière mouture du Quatuor Arditti – au service de la musique de notre temps justifient pleinement l’hommage rendu par le Festival d’Automne.



Jérémie Bigorie

 

 

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