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Des adieux scintillants

Paris
Palais Garnier
09/22/2017 -  et 23*, 24, 26, 27, 29 septembre, 1er, 2, 4, 6, 7, 9, 11, 12 octobre 2017
Jewels: Emeraudes [1] – Rubis [2] – Diamants [3]
George Balanchine (chorégraphie), Gabriel Fauré [1], Igor Stravinski [2], Piotr Ilyitch Tchaïkovski [3] (musique)
Michel Dietlin (piano), Orchestre Pasdeloup, Vello Pähn (direction musicale)
Christian Lacroix (décors, costumes), Jennifer Tipton (lumières)


Emeraudes (© Julien Benhamou/Opéra national de Paris)


La saison du Ballet de l’Opéra national de Paris (BOP) s’est ouverte avec la reprise de Joyaux de George Balanchine, triptyque chorégraphique qui fête ses cinquante ans, et les adieux à la scène de la danseuse étoile Laëtitia Pujol, atteinte par la limite d’âge. Soirée nostalgique!


La soirée d’adieux d’un danseur étoile est désormais un rituel bien rodé au BOP. Chacun essaie de faire preuve d’originalité pour se démarquer de ses prédécesseurs. Cette saison verra trois départs parmi les dix-neuf étoiles, ceux d’Eleonora Abbagnato, d’Hervé Moreau et de Laëtitia Pujol, impitoyablement atteints par la limite d’âge de 42 ans. Laëtitia Pujol n’est certes pas l’étoile la plus marquante du règne sur la compagnie de son ex-directrice Brigitte Lefèvre, mais, nommée en 2002 pour son interprétation du rôle de Kitri dans Don Quichotte, elle a marqué un certain nombre de créations, dont La Petite Danseuse de Degas de Patrice Bart et Wuthering Heights de Kader Belarbi. Pour ses adieux, elle a désiré retrouver un de ses partenaires privilégiés, le danseur étoile Manuel Legris, retraité du BOP et actuel directeur du ballet du Staatsoper de Vienne. Emouvantes retrouvailles dans le court mais dense duo final de l’acte II de Sylvia qu’avait créé John Neumeier pour le BOP en 1997. Son autre désir était de danser une dernière fois dans Emeraudes de Balanchine.


Cette soirée de taille nous aura valu, afin que son déroulement singulier ne s’accomplisse, deux innovations considérables. La première est d’avoir pu assister à Joyaux dansé d’un seul tenant, sans que deux fastidieux entractes ne rompent la continuité de ces trois pièces créées en 1967 par le New York City Ballet sur une idée venue à son fondateur, George Balanchine, en contemplant les vitrines du joaillier new-yorkais Tiffany. Joyaux doit être lu comme une leçon d’esthétique sur le ballet. Car si Emeraudes, Rubis et Diamants incarnent différents types de femmes, ils symbolisent surtout les trois grands styles de danse que représentent les univers chorégraphiques de Paris, New York et Saint-Pétersbourg. Dans ce manifeste ultraélégant, rompant avec la narration, Balanchine affirme la force d’une danse classique abstraite, précipité de haute technicité et de musicalité inégalée. L’œil bien sûr est distrait par les superbes costumes commandés pour la circonstance au couturier Christian Lacroix: de magnifiques tutus romantiques et pourpoints de velours dans tous les tons de l’émeraude, de petites tuniques brodées de style music-hall dans les rouges du rubis, des tutus droits et raides de tulle blanc emperlé, scintillant pour évoquer le diamant. Les musiques respectives de Fauré, Stravinski et Tchaïkovski achèvent de caractériser les écoles de danse française, américaine et russe. L’Orchestre Pasdeloup, dirigé par le chef spécialiste Vello Pähn, a fort bien illustré cette belle démonstration de styles. Laëtitia Pujol s’est bien sûr distinguée dans Emeraudes avec son partenaire privilégié, le danseur étoile Mathieu Ganio, dans le premier Pas de deux, puis seule avec des beaux ports de bras et tous les artifices de cette danse maniérée à l’extrême dans la Sicilienne. Le second Pas de deux mettait en perspective un autre couple exceptionnel formé par Eleonora Abbagnato et Stéphane Bullion. Dans Rubis sur le Capriccio de Stravinsky bien enlevé par le pianiste Michel Dietlin, c’est Léonore Baulac, Paul Marque et Alice Renavand qui ont épaté avec une énergie et un esprit tout américains. La difficulté de Joyaux réside plus dans les atmosphères à recréer que dans la virtuosité, excepté pour Diamants, qui évoque sur des extraits de la Troisième Symphonie «Polonaise» de Tchaïkovski l’époque d’or des Ballets russes pétersbourgeois. Diamants convoque un grand effectif et exige une discipline parfaite. Amandine Albisson et surtout Hugo Marchand, danseur étoile athlétique et virtuose, n’ont fait qu’une bouchée des difficultés dont Balanchine a truffé le final. L’ensemble des danseurs y a été somptueux d’entrain et de précision.



L. Pujol dans Emeraudes (© Agathe Poupeney/Opéra national de Paris)


La seconde innovation était ce défilé du corps de ballet, la spécialité absolue du BOP que le monde entier lui envie et qui est la mécanique la mieux huilée possible. Pendant vingt minutes, sur la Marche de l’acte I des Troyens de Berlioz jouée en boucle, défile vers le public venant du fond de la scène ouvert jusqu’au foyer de la danse avec son lustre mythique, la totalité de la compagnie, école de danse incluse, du plus jeune des petits rats (et ils débutent vraiment jeunes) jusqu’au plus ancien des danseurs étoiles. Une mise en lumière de la conception hiérarchique pyramidale de la compagnie, qui est toujours un grand moment pour le public. Généralement donné en ouverture de la soirée, le fait de l’avoir placé à la fin offrait un écrin de choix à la cérémonie publique des adieux, aussi rituelle que les adieux d’une supérieure à ses sœurs dans un couvent de carmélites. Curieux mélange de chaleur sous une pluie d’étoiles dorées qui tombe des cintres, et de cruauté car pendant de très longues minutes, vingt ce soir là, la pauvre danseuse étoile est piégée comme une souris en cage, condamnée à tirer sa révérence mille fois pendant qu’un à un viennent la féliciter famille, proches, collègues, maîtres de ballet, directrices de la danse, chef d’orchestre, et tout le personnel artistique de la maison. Ce soir-là, sous l’œil bienveillant du directeur de l’Opéra de Paris assis dans une loge d’avant-scène, on comptait parmi ceux aux pieds desquels s’est prosternée Laëtitia Pujol, admirable dans le contrôle de son émotion, Noëlla Pontois, son professeur, Claude Bessy, qui a présidé à ses études, Claude de Vulpian, ses directrices de la danse, l’ancienne, Brigitte Lefèvre, qui l’a nommée, et l’actuelle, Aurélie Dupont. Avaient répondu à l’appel ses partenaires, Wilfried Romoli, Mathieu Ganio, Jean-Guillaume Bart, Emmanuel Thibault et Benjamin Pech, ses collègues Isabelle Ciaravola, Agnès Letestu, Marie-Agnès Gillot et tant d’autres du BOP. Et on mesurait, au-delà du talent, l’aura personnelle qu’a eue Laëtitia Pujol dans sa profession tout au long de ces vingt-cinq ans de carrière. Le public debout a applaudi ces adieux sans interruption pendant une vingtaine de minutes avant que Brigitte Lefèvre, qui a présidé à tant de ces cérémonies, ne donne d’un signe de la main l’ordre de baisser le rideau, brutal couperet final sur une belle carrière et sur une soirée qui s’est prolongée bien après que le noir ne se fasse dans la salle.



Olivier Brunel

 

 

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