About us / Contact

The Classical Music Network

Berlin

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

L’esprit de Gustav Mahler souffle sur la Philharmonie

Berlin
Philharmonie
09/12/2017 -  
Gustav Mahler : Symphonie n° 5 en ut dièse mineur: 1. Trauermarsch (arrangement pour Welte-Mignon Klavierrollen) – Symphonie n° 5 en ut dièse mineur
Konzerthausorchester Berlin, Iván Fischer (direction)


(© Sébastien Gauthier)


Certains concerts suscitent une émotion particulière: assurément, ce fut le cas de celui-ci, entièrement consacré à la Cinquième Symphonie de Gustav Mahler (1860-1911): ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion d’entendre jouer le compositeur lui-même!


Entendons-nous bien: Mahler est décédé voilà plus d’un siècle et aucun spectre, ni sosie, quand bien même il aurait arboré des cheveux au vent et de petites lunettes cerclées de fer, n’est venu sur scène. Mais le concert commençait de façon assez originale puisqu’il permit au public d’entendre l’enregistrement du premier mouvement de la Cinquième joué au piano par le compositeur lui-même! Ce prodige technique est dû à une machine que tout le monde a aujourd’hui oubliée et qui s’appelle le Welte-Mignon. De quoi s’agit-il? En novembre 1905, sur la route le menant de Berlin à Vienne, Mahler fit une courte halte du côté de Leipzig chez Welte et fils, facteurs d’instruments, pour enregistrer quelques œuvres sur une de leurs inventions, le Welte-Mignon. Il s’agit d’une sorte de piano sur lequel l’interprétation donne lieu à la réalisation d’un rouleau de papier (un peu comme pour un orgue de barbarie) qui enregistre, par un système de perforations correspondant à chaque note, le jeu du pianiste, ses impulsions, son jeu de pédales, sa dynamique, ses hésitations même et qui, comme l’écrit très justement Hans-W. Schmitz dans la notice du programme, fait office de «photographie de l’enregistrement» ou d’«empreinte discographique». Une fois l’orchestre, le chef et Hans-W. Schmitz entrés sur scène, la Philharmonie de Berlin fut donc plongée dans une douce pénombre, seul le Welte-Mignon étant éclairé sur le devant de la scène et délivrant une version pianistique du premier mouvement de la Cinquième Symphonie sous les doigts de son auteur, le mouvement étant actionné sur scène par M. Schmitz. Ce retour en arrière («Zeitfenster» écrit Schmitz) est éclairant: peu de jeu de pédales, un début très sec, sans concession, une main gauche généralement plus lourde et plus sonnante que la droite témoignent d’une approche assez peu lyrique (même si le Welte-Mignon ne retraçait guère les intentions strictement musicales de l’interprète) mais assez conquérante. Etrange et, ma foi, assez irréel moment que d’entendre et de voir ce piano jouer sans personne derrière le clavier, la pédale droite bougeant seule, écouté religieusement par une Philharmonie où, étrangement compte tenu de la relative popularité de cette symphonie, plusieurs sièges étaient vides ce soir.


Une fois cet enregistrement terminé, le public eut droit à une courte pause, le temps pour les techniciens de la Philharmonie d’ouvrir la scène afin de faire disparaître le Welte-Mignon dans les profondeurs de celle-ci, de reconstituer le plateau dans son entier, permettant ainsi d’installer l’estrade du chef et aux musiciens de prendre un peu plus leurs aises. Puis ce fut donc la Cinquième Symphonie dans la totalité de ses cinq mouvement sous la direction du chef hongrois Iván Fischer, directeur musical du l’Orchestre du Konzerthaus de Berlin depuis la saison 2012-2013.



I. Fischer (© Sébastien Gauthier)


Fort d’enregistrements mahlériens justement salués par la critique, Fischer livra une version superlative de cette symphonie grâce à un orchestre qui, même s’il n’a pas l’aura de son encombrant voisin berlinois, s’avère des plus solides. Dès le début du premier mouvement, le trompettiste solo Sören Linke balaie tout éventuel doute grâce à une crâne assurance qu’il communique à l’ensemble des pupitres, les cordes évoquant de façon extrêmement subtile les aspects grinçants du mouvement comme on peut par ailleurs les entendre dans le deuxième mouvement de la Quatrième Symphonie ou dans le troisième mouvement de la Neuvième. Dans le deuxième mouvement (Stürmisch bewegt, mit grösster Vehemenz), Fischer nous emporte dans un déferlement irrésistible où l’on admire les moindres détails de la partition, les transitions (notamment celle passant des cors aux trompettes en sourdines avant de se joindre aux cordes qui terminent seules, à découvert) étant particulièrement soignées, le climat s’avérant toujours juste. Dans le troisième mouvement, certains chefs choisissent d’appeler le cor solo à leurs côtés, debout sur le devant de la scène (c’est le cas par exemple de Sir Simon Rattle), d’autres le laissent jouer depuis sa place au sein de l’orchestre (comme le fit ici même Andris Nelsons). Fischer choisit un moyen terme en faisant asseoir le cor solo au premier rang, entre les pupitres de violons et de violoncelles: superbe performance du jeune français Bertrand Chatenet, qui compensa un orchestre assez neutre durant ce mouvement, sans doute un peu trop sage à l’image d’une fin très maîtrisée. On passera rapidement sur le fameux Adagietto, irréprochable même si là aussi on a connu pupitres de cordes plus soyeux, pour dire un mot du dernier mouvement, dirigé avec une poigne incroyable, toujours sans omettre ni détails, ni nuances, Fischer se révélant sans conteste comme un des grands mahlériens d’aujourd’hui.


C’est donc avec enthousiasme que la salle salua un concert d’une superbe tenue où, en sortant, on pouvait affirmer à plus d’un titre: «Gustav Mahler existe, je l’ai rencontré!».


Le site de l’Orchestre du Konzerthaus de Berlin



Sébastien Gauthier

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com