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La profondeur de Janacek

Salzburg
Felsenreitschule
07/28/2001 -  et 29 Juillet, 1 et 4 Aout
Leos Janacek: Jenufa
Karita Mattila (Jenufa), Hildegard Behrens (la Kostelnicka), David Kuebler (Steva), Jery Hadley (Laca), June Card (Buryja), Jiri Slzenko (Starek), Ludek Vele (Le maire), Yvona Skarova (son épouse), Martina Jankova (Karolka), Astrid Hofer (Barena), Gaelle le Roi (Jano), Orchestre Philarmonique Tchèque, Choeur de l'Opéra de Vienne, Sir John Eliot Gardiner, Bob Swaim (mise en scène)



L’édition 2001 du Festival de Salzbourg est la dernière sous la direction de Gérard Mortier. Tous les ragots vont bon train sur les surprises des mises en scène provocatrices que réservent les futures Ariadne à Naxos et la Chauve-Souris. Gérard Mortier a également donné de nombreux interviews pour exprimer sa déception face à toutes les barrières qu’il a rencontré et l’hostilité de ceux qui se sont dressés contre lui. Que pensez d’une telle diatribe ?


Il faut tout d’abord reconnaître que si Gérard Mortier espérait trouver un environnement similaire à celui qu’il a connu à la Monnaie, il a été soit bien naïf, soit bien innocent. Je ne peux pas croire qu’il ne mesurait pas le challenge que représentait le fait de prendre la succession du festival de Salzbourg après Karajan, ni qu’il n’ait perçu que Salzbourg est une ville provinciale, touristique au sens le plus superficiel du terme et très conservatrice et ce dans un pays parmi les plus conservateurs en Europe. Gérard Mortier exagère également lorsqu’il semble condamner artistiquement tout ce qui a été fait avant lui à Salzbourg. Il y a eu à coté des représentations d’opéras mis en scène par Karajan dans un style totalement dépassé: décors et costumes grandioses pour une conception purement symphonique des œuvres, des réussites totales musicalement et dramatiquement . Je pense en particulier aux exceptionnelles représentations des Contes d’Hoffmann ou à la Flûte Enchantée donnés par le duo James Levine/Jean-Pierre Ponelle. De même, il y avait des créations d’œuvres contemporaines avant Mortier. Un de mes très bons souvenirs de Salzbourg est la création du Re in Ascolto de Luciano Berio dirigé par Lorin Maazel et mis en scène par Goetz Friedrich. Enfin, je suis surpris également par le mépris que Gérard Mortier a affiché par rapport au public du Festival. Il y a certes un public qui aime parader en habits de soirée et une arrière-garde locale qui semble agir comme si ils possèdent chaque pierre du Festival mais il y a cependant de vrais mélomanes. J’ai toujours trouvé à Salzbourg un public difficile et exigeant, connaissant fort bien les œuvres jouées et toujours très attentifs aux représentations, bien plus qu’à Paris, Londres, Vienne ou New York.


Non , je suis plus prêt à croire que Mortier fait partie de ces gens qui aiment jouer les « victimes » et aiment les situation de crises et de conflits. Si ce genre d’attitude peut servir pour débloquer une situation, elle peut devenir paralysante. Au bout d’un moment, les positions se figent et il devient impossible d’en sortir. Gérard Mortier a marqué de son empreinte Salzbourg, que celui-ci a connu de très réelles réussites artistiques, a agrandit son programme ainsi que le cercle d’artistes qui y ont travaillé et en sont devenus des habitués. Il est plus que probable qu’il sera regretté et que les générations futures évoqueront sa décennie comme un des grands moments de l’histoire du Festival. L’Autriche a un passé riche en conflits artistiques transformés plus tard en regrets, de Gustav Mahler à Gérard Mortier.


Jenufa est en tous cas une production très sage. Le metteur en scène de cinéma Bob Swaim a donné une vision très classique de l’œuvre de Janacek. Les notes du programme montrent bien le soin et surtout le respect avec lequel il a abordé cet opéra. Il remplit bien l’espace de la salle de la Felsenreitschule, les décors sont beaux sans être tapageurs, ainsi que les subtils jeux de lumière. L’action se déroule naturellement sans lourdeur ni statisme. On peut cependant regretter une certaine superficialité dans le traitement de certains de ses personnages, en particulier au niveau des deux demis-frères . Son Steva n’est pas assez travaillé. Impossible de dire ce qu’il ressent durant le premier acte, de l’indifférence, de la gène devant les réprimandes publiques de la Kostelnicka ? Est-il seulement ivre comme le demande le texte ? De même, quelle occasions manquée pour lui faire exprimer sa lâcheté lors de sa deuxième rencontre avec Kostelnicka. Difficile de dire si cela est du à un manque de don dramatique de David Kuebler ou une volonté du metteur en scène. De même, Laca, même s’il est chanté avec une certaine passion par Jerry Hadley manque de complexité et de profondeur. A Paris en 1996 dans la superbe représentation du théâtre du Châtelet, Stéphane Braunschweig illuminait avec plus de justesse et d’inspiration ces deux rôles grâce au talents combinés de Graham Clarck et Philip Landgrige. Les rôles féminins sont bien plus heureux. Hildegard Behrens aborde ici le rôle si difficile de la Kostelnicka. pour la première fois. Si le timbre n’est plus aussi riche qu’à ses débuts, elle donne beaucoup de dramatisme et de présence et ses moyens vocaux impressionnent toujours. Tous les personnages secondaires, tchéques pour la plus part sont irréprochables. Après l’exceptionnelle réussite de son Falstaff au Châtelet, Sir John Eliot Gardiner continue à explorer le répertoire lyrique avec beaucoup de bonheur. S’il est moins attentif aux aspérités de la musique de Janacek que Sir Simon Rattle lors des productions du Châtelet, il tire par contre de son orchestre de superbes sonorités très personnelles, très « tchèques » serait-on tenté de dire. Les bois et cordes sont plus douces et plus colorés que l’on ne pourrait en avoir l’habitude. Il faut se féliciter qu’un chef de son talent continue à aborder tant d’œuvres nouvelles.


Il y a cependant dans cette représentation deux triomphes absolus. Le premier, ce qui n’étonnera aucun amateur de lyrique revient à Karita Mattila. La soprano Finlandaise, qui a déjà triomphé dans Mozart, Verdi, Beethoven, Strauss, Wagner, …, aborde avec son talent et se sensibilité coutumière un rôle que l’on pourrait croire avoir été écrit pour elle. La voix est superbe, la présence scénique pleine d’autorité et d’intelligence. Il y a dans le deuxième acte un monologue où, berné par la Kostelnicka, elle prend la nouvelle mort de son enfant avec résignation. Ce passage est fondamental car c’est à ce moment que le personnage de Jenufa n’est plus une jeune fille passive, ballottée par sa mère ou son ancien amant. Mattila trouve à cet instant le ton juste, ni tragique, ni sentimental, exactement comme Janacek le demande.


L’autre triomphe vient de la musique. Du début jusqu’à la fin, Janacek fait parcourir cette œuvre de son style si particulier, faisant ressortir par son orchestration si personnelle et son art du dialogue parlé-chanté, les sentiments et les nerfs à vif de ses personnages. Janacek est probablement le compositeur dont la musique sait émouvoir mais aussi approfondir la psychologie de ses personnages au-delà du texte. Par comparaison, un Richard Strauss, pourtant également un immense compositeur, pâlit par comparaison de part son esthétique plus artistique et plus artificielle. Janacek atteint autant de noblesse mais dépeint des personnages plus en chair et en os avec plus de véracité.


Aussi surprenant que cela le soit, c’est la première fois que Jenufa est donné a Salzbourg. Certains se sont plaints qu’il n’y pas eu de Puccini et moins de Richard Strauss à Salzbourg sous l’ère Mortier. Mais le souvenir la Maison des morts, Katya Kabanova et enfin cette Jenufa. sont enfin entrés avec un immense succès au répertoire de Salzbourg. Avoir donné à Janacek la place qu’il mérite parmi les plus grands compositeurs de ce siècle, c’est au-delà des polémiques là qu’il faut voir la vraie contribution de Gérard Mortier.



Antoine Leboyer

 

 

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