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Les missionnaires

Oviedo
Museo de Bellas Artes de Asturias
08/02/2017 -  
Guillaume de Machaut : Ballade XXVI (transcription pour trois altos de Heinz Holliger)
Johannes Ockeghem : Malor me bat (arrangement pour trois altos de Bruno Maderna)
Israel López Estelche : Prólogo Líquido (création) – Trayecto Líquido
Francisco C. Goldschmidt: ...Pedazos de rostros...
George Benjamin : Viola, Viola (*)
Gérard Grisey : Vortex Temporum I, II, III

Garth Knox (*), John Stulz (*), Alfonso Noriega (alto)
Manufaktur für Aktuelle Musik, Suzanne Blumenthal (direction)


(© Stéphane Guy)


On connaît le mot à la fois drôle, méchant et évidemment exagéré du chef d’orchestre espagnol Jesús López Cobos selon lequel être musicien en Espagne, c’est comme être torero en Finlande. Qu’aurait-il dit des créateurs de musique contemporaine?! Surtout sur une terre aussi conservatrice que la Principauté des Asturies où la musique folklorique et la zarzuela semblent être l’horizon indépassable de la culture musicale pour beaucoup. Pourtant, à vrai dire, on a déjà eu l’occasion d’entendre lors des festivals d’été d’Oviedo des pièces de musique contemporaine qu’on n’imagine pas pouvoir entendre dans nombre de festivals français, et l’intérêt du public pour la musique d’aujourd’hui est loin d’y être nul. On se souvient ainsi du succès rencontré par le Nosferatu de José María Sánchez-Verdú en 2013. Mais si on ne saurait donc qualifier les Asturies de désert musical, il reste quand même du travail pour les missionnaires. C’est heureux car il y en a. Le 1er août, Israel López Estelche, jeune compositeur né en 1983 en Cantabrie mais installé à Oviedo, le démontrait en faisant une conférence, à l’Auditorium Principe Felipe, présentant un cycle de trois concerts consacrés à la musique contemporaine et organisés avec l’altiste Alfonso Noriega, natif d’Oviedo. Le premier d’entre eux avait lieu le 3 août, malheureusement dans le patio (couvert) du musée des Beaux-Arts de la région, évidemment aussi inadapté que les autres lieux utilisés habituellement l’été.


Devant un public restreint d’une centaine de personnes, le patio ne pouvant en accueillir davantage, les défections étant somme toute rares, était offert un programme «européen» aussi riche, éclectique, que copieux, par un ensemble allemand constitué en 2010, Manufaktur für Aktuelle Musik (MAM), dont les missionnaires étaient dirigés par une jeune femme constamment précise, Suzanne Blumenthal, l’altiste Garth Knox, ancien du Quatuor Arditti et de l’Ensemble intercontemporain, ayant la gentillesse de rappeler dans un espagnol incertain mais sympathique, à chaque fois, les œuvres qui allaient être interprétées.


On entendit tout d’abord, de Heinz Holliger (Suisse né en 1939), une transcription (2003) pour trois altos d’une ballade de Guillaume de Machaut, au balancement médiéval, à l’écriture serrée, d’une grande modernité. Suivit, dans un même esprit, tendant à jeter des ponts entre la musique d’aujourd’hui et la musique ancienne, une page de l’Italien Bruno Maderna (1920-1973) inspirée de Johannes Ockeghem mais paraissant cette fois déglinguée, ses stridences faisant vraiment trop penser à des portes qui grincent.


Les choses changèrent avec deux pièces de l’Espagnol Israel López Estelche, co-organisateur de la série d’événements musicaux et présent évidemment dans le patio. Son Prologue liquide, donné en création mondiale, écrit pour trois altos, offrait des paysages mouvants, fluides, les glissandos laissant une impression de fugace, d’insaisissable, constituant une introduction parfaite au Trajet liquide (2014) du même auteur, pièce pour sept instruments qui lui permit d’obtenir le prix des jeunes compositeurs de la fondation de la Sociedad general de autores y editores et du Centre national de diffusion musicale espagnol en 2014. Equilibre et puissance, sens des couleurs, se conjuguaient pour rendre la partition passionnante. Il n’en fut pas de même avec ...Pedazos de rostros..., que l’on pourrait peut-être traduire par Visages éclatés, du compositeur germano-chilien né en 1981, Francisco C. Goldschmidt. On se retrouvait cette fois plutôt au milieu de paysages venteux, jouant sur les silences, une pièce presque webernienne mais où rien ne permettait vraiment de s’accrocher.


Les deux œuvres proposées ensuite, sans pause aucune, montraient d’autres facettes de la création contemporaine européenne, comme du talent des interprètes. Pour Alto, alto (1997) du Britannique George Benjamin (né en 1960), les deux artistes, Garth Knox et John Stulz, se faisaient face, six pages de partition étant étalées sur plusieurs pupitres placés devant eux. Ça ne couinait pas et les interprètes surent jouer avec la forte réverbération des lieux, au fond d’une sorte de puits – le patio – dont les balcons des différents niveaux permettaient aussi au public de musée de suivre cette œuvre indéniablement hédoniste, flirtant avec le swing, brillante et s’achevant par un jeu de pizzicatos faisant penser à des entrelacs de harpes.


Le niveau était encore relevé avec Vortex Temporum I, II et III (1994-1996) du Français Gérard Grisey (1946-1998). Difficile de décrire en quelques mots un tel monument spectral, d’une quarantaine de minutes, où le foisonnement sonore, la puissance créatrice, les ondoiements sinusoïdaux, la virtuosité soient aussi constants. Les ambitus instrumentaux sont utilisés à plein, les changements de rythmes se conjuguent à l’éclatement des sons en mille guirlandes sonores pour transformer l’ensemble des six instrumentistes en authentique orchestre, où le piano (en partie préparé un quart de ton plus bas) joue un rôle primordial, du début à la fin lorsque, après les clusters, c’est une sorte de glas qui nous cloue sur place. Le tintinnabulisme d’Arvo Pärt comme les oiseaux d’Olivier Messiaen n’étaient parfois curieusement pas loin mais l’œuvre demeurait profondément originale.


Au terme de ce concert exceptionnel, de près de deux heures (au lieu de quatre-vingts minutes annoncées), on ne pouvait que louer la performance des instrumentistes, tous d’une grande probité et irréprochables de bout en bout, Daniel Lorenzo au piano tirant son épingle du jeu, assis comme debout pour pincer les cordes (Trajet liquide) ou étouffer leur son (Vortex) pour extirper de partitions singulièrement complexes des sons proprement inouïs, sachant faire preuve de lyrisme comme de fureur à vouloir torturer son piano.


Encore une belle surprise à Oviedo.



Stéphane Guy

 

 

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