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L’art déclamatoire français en majesté aux Bouffes du Nord Paris Théâtre des Bouffes du Nord 06/08/2017 - et 27 avril (Caen), 10*, 11 juin (Paris), 10 novembre (Rennes) 2017 Jean-Baptiste Lemoyne : Phèdre (adaptation Benoît Dratwicki) Judith van Wanroij (Phèdre), Diana Axentii (Œnone), Enguerrand de Hys (Hippolyte), Thomas Dolié (Thésée)
Le Concert de la Loge, Flore Merlin (chef de chant), Julien Chauvin (violon, direction)
Marc Paquien (mise en scène), Victoria Duhamel (assistante à la mise en scène), Emmanuel Clolus (scénographie), Claire Risterucci (costumes), Dominique Bruguière (lumières), Nathy Polak (création maquillages et costumes)
(© Théâtre de Caen/Grégory Forestier)
Pour sa cinquième édition, le festival parisien du Palazzetto Bru Zane poursuit sa défense du répertoire romantique français dans le cadre intime du Théâtre des Bouffes du Nord: hormis La Reine de Chypre de Halévy au Théâtre des Champs-Elysées (voir ici), puis les concerts dédiés à Saint-Saëns à l’Opéra Comique jusqu’au 19 juin, tous les événements auront lieu dans la salle à l’italienne jadis rénovée par Peter Brook.
On doit à l’insatiable curiosité de Benoît Dratwicki, directeur artistique du Centre de musique baroque de Versailles, le choix d’un opéra du rarissime Jean-Baptiste Lemoyne (1751-1796). Le compositeur français fit d’abord ses premières armes à Berlin et à Varsovie avant de connaître le succès auprès de Marie-Antoinette, dans le courant des années 1780. C’est précisément l’une de ses tragédies lyriques les plus appréciées, Phèdre (1786), qui nous permet de découvrir ce compositeur dont le style se situe à mi-chemin entre les deux écoles alors rivales – autant Gluck pour l’art vocal déclamatoire à la française que l’école italienne (incarnée par Piccinni et Sacchini) pour la nervosité du soutien orchestral. Lemoyne sait aussi trouver des climats plus intimistes, raréfiant les effets pour mieux mettre en avant l’émotion de la voix soliste, particulièrement les états d’âme de Phèdre. L’adaptation pour quatre chanteurs et dix instrumentistes réalisée par Benoît Dratwicki renforce également cet allégement bienvenu: à ce jeu-là, les bois n’en séduisent que davantage, tandis que Julien Chauvin conduit l’ensemble avec maestria.
La réussite du spectacle doit aussi grandement à l’adaptation du drame de Racine par François-Benoît Hoffmann (1760-1828), futur librettiste de Méhul ou Cherubini. Outre le resserrement de l’action autour des quatre principaux protagonistes, le livret parvient à établir une véritable attente autour d’affrontements sans cesse repoussés: d’abord entre Phèdre et Hippolyte, puis entre ces derniers et Thésée. Les récitatifs restent inventifs et séduisants par d’infimes variations de l’accompagnement musical, tandis que Lemoyne sait tenir en haleine son auditoire par les duos dramatiques nombreux, notamment les échanges troubles entre Phèdre et Œnone. Seul le quatuor final, trop court, déçoit par son manque de conviction. La mise en scène de Marc Paquien joue quant à elle la carte de la sobriété en s’appuyant sur une scénographie astucieuse, l’ensemble des instrumentistes étant encastré dans le plateau en une sorte de damier: les solistes tournent autour d’eux au gré de l’action, comme une partie d’échecs qui se jouerait en grandeur nature. La proximité avec les artistes est surtout renforcée par le placement de la scène au niveau de l’orchestre, permettant de suivre au plus près les moindres inflexions du jeu des solistes.
Omniprésente pendant la quasi-totalité de la soirée (d’une durée d’une heure et demie sans entracte), Judith van Wanroij s’empare de son rôle de Phèdre avec conviction, faisant valoir sa souplesse vocale et le velouté de son timbre au bénéfice de chaque nuance. A ses côtés, l’excellente Diana Axentii (Œnone) n’est pas en reste dans la variété d’expression de son incarnation. Comme la Néerlandaise et ses partenaires masculins, elle se concentre sur la diction et l’articulation: une des qualités toujours mise en avant par les productions des frères Dratwicki. On soulignera enfin les deux rôles masculins, également parfaits autour du timbre clair d’Enguerrand de Hys (Hippolyte) et de l’intensité dramatique de Thomas Dolié (Thésée).
Florent Coudeyrat
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