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L’art du cirque à l’opéra

Versailles
Opéra royal
06/08/2017 -  et 26, 28, 30 avril, 2, 4, 6, 7 mai (Paris), 10, 11 juin (Versailles) 2017
Marin Marais : Alcione
Lea Desandre (Alcione), Cyril Auvity (Ceix), Marc Mauillon (Pélée), Lisandro Abadie (Pan, Phorbas), Antonio Abete (Tmole, Neptune), Hasnaa Bennani (Ismène, Première matelote), Hanna Bayodi-Hirt (Une bergère, Seconde matelote, Junon), Sebastian Monti (Apollon, Le Sommeil), Maud Gnidzaz (Doris), Lise Viricel (Céphise), Maria Chiara Gallo (Aeglé), Yannis François (Le chef des matelots), Gabriel Jublin (Phosphore), Benoît Joseph Meier (Un suivant de Ceix), Pauline Journe, Tarek Aitmeddour, Alba Faivre, Cyril Combes, Emily Zuckerman, Valenti Bellot, Mikael Fau, Maud Payen (danseurs et circassiens)
Lluis Vilamajó (chef de chœur), Le Concert des Nations, Jordi Savall (direction)
Louis Moaty (mise en scène), Raphaëlle Boitel (chorégraphie), Tristan Baudoin et Louise Moaty (scénographie), Alain Blanchot (costumes), Arnaud Lavisse (lumières), Mathilde Benmoussa (maquillage), Nicolas Lourdelle (régisseur cirque), Gudrun Skameltz et Caroline Ducrest (collaboratrices à la danse baroque), Florence Beillacou (assistante à la mise en scène), Maud Payen (assistante à la chorégraphie), Marie Hervé (assistant à la scénographie)


(© Sébastien Gauthier)


Que voilà un projet porté depuis longtemps! Car, lorsqu’il enregistra en décembre 1993 un sublime disque d’airs tirés des suites d’Alcione de Marin Marais (1656-1728), l’opéra demeurait en grande partie inconnu. Certes, Marc Minkowski en avait réalisé un enregistrement intégral en janvier 1990 (Erato) mais cette tragédie lyrique restait encore des plus confidentielles pour n’avoir notamment jamais connu de représentation scénique à Paris depuis 1771! Le mal est réparé si l’on peut dire car voilà la première des trois représentations données à l’Opéra royal du château de Versailles, après celles à l’Opéra-Comique il y a quelques semaines.


Marin Marais n’est pas un compositeur d’opéras très prolixe dans la mesure où, après Alcide (1693), qu’il coproduit avec le fils de Jean-Baptiste Lully, il n’en compose guère que trois: Ariane et Bacchus (1696), Alcione (1706) donc, sur un livret du célèbre Antoine Houdar de La Motte, et Sémélé (1709), dont l’échec sera cuisant. Au-delà d’un Prologue des plus classiques où les Dieux s’affrontent pour finalement laisser Apollon triompher, l’action narre les amours de Ceix, roi de Trachines, et d’Alcione, fille d’Eole. Se mêlent à ce duo central Pélée, ami de Ceix mais également épris d’Alcione qui vit douloureusement ce tiraillement incessant, et le magicien Phorbas qui, aigri de n’avoir pas accédé au trône des Trachines comme ses ancêtres, joue le trouble-fête. Ce dernier, à qui Ceix vient demander conseil, l’envoie à Claros consulter Apollon sur son avenir s’il ne souhaite pas perdre Alcione, ni mourir lui-même. Après maintes péripéties dont celles qui surviennent au port de Trachines (c’est là qu’on entend la célèbre «Marche des matelots»), le rêve d’Alcione voyant la perte de l’être aimé qu’elle trouve effectivement inanimé à un moment donné, le suicide puis la résurrection d’Alcione et le suicide – définitif celui-ci – de Pélée, la fin se conclut sur une note heureuse puisque Neptune rend la vie à Alcione et Ceix et leur confère l’immortalité afin qu’ils chassent «les vents de l’empire de l’Onde» pour reprendre ses propres termes.


Dès l’Ouverture, Jordi Savall nous emporte sur des cimes musicales que l’on ne quittera plus. Orchestre d’une incroyable finesse (l’accompagnement des deux flûtes traversières tenues par Charles Zebley et Yi-Fen Chen dans l’air d’Alcione «Amour, cruel amour, sois touché de mes peines» au début du quatrième acte), d’un entrain contagieux (la «Marche des matelots» à l’acte III, dont la mélodie sert de fil de conducteur à l’acte tout entier, rythmée avec entrain par l’inamovible Pedro Estevan), cordes soyeuses pour accompagner l’air magnifique de Pélée à l’acte V: le résultat est splendide. De son côté, toujours avare de geste grandiloquent ou inutile, Jordi Savall veille à ne jamais baisser la tension lorsqu’elle est nécessaire, jouant surtout sur les ambiances douces et rêveuses d’une musique scintillante comme on savait le faire en ce début de XVIIIe siècle.


Aux côtés d’un excellent chœur, le public a pu se régaler d’un très bon plateau vocal même si, avouons-le et paradoxalement peut-être, Lea Desandre ne nous aura pas totalement convaincu. Handicapée par une prononciation peu claire lors de ses premières interventions à l’acte I, elle s’affirme davantage au fur et à mesure de l’opéra. Si elle peine quelque peu au début à incarner son personnage, elle s’approprie de mieux en mieux la psychologie d’Alcione, capable de la plus grande désolation comme de la plus grande rage (scène 2 de l’acte IV ou scène 1 de l’acte V), la fragilité de la chanteuse convenant idéalement à la jeune héroïne. A ses côtés, Cyril Auvity campe un excellent Ceix dès son premier duo avec Alcione (acte I, scène 2), même s’il a parfois tendance à pousser ses aigus. Marc Mauillon est quant à lui irréprochable: on connaît les moyens de ce chanteur, son sens de la prosodie, et la théâtralité dont il est capable. La diversité de ses talents trouve encore une fois dans Alcione un véritable terrain d’élection: citons par exemple l’air «O Mer, dont le calme infidèle» (acte III, scène 1) ou l’ensemble de ses interventions à l’acte V, notamment lorsqu’il demande à Alcione de le sacrifier afin de ne pas subir plus longtemps la douleur d’aimer un être qui en retour ne l’aime pas («Apprenez un criminel amour, malgré moi vos appâts»). Si Antonio Abete se distingue dans son rôle de Tmole (davantage que dans celui de Neptune à notre sens) et si Lisandro Abadie est très bon dans les rôles de Pan et de Phorbas, Hasnaa Bennani mange trop ses mots pour incarner une Ismène convaincante, Hanna Bayodi-Hirt s’avérant au contraire parfaite dans chacun de ses trois rôles. Mais qu’on nous permette, au titre des derniers chanteurs, de souligner l’excellence des trois confidentes d’Alcione, le trio, qui compte également Lise Viricel et Maria Chiara Gallo, étant sans conteste dominé par Maud Gnidzaz, une voix à suivre de très près à coup sûr!


Est-ce parce que l’action d’Alcione se déroule dans le milieu marin que le décor privilégie ces cordages tendus en travers de la scène, corde molle, corde en diagonale de toute la scène...? Décor mais aussi, surtout devrait-on dire, outils de premier ordre pour l’équipe d’acrobates qui évolue sur scène au fil de l’opéra. Si l’on peut apprécier leur adresse et la facilité apparente de leurs exercices, leur présence devient parfois gênante puisque, comme dans une sorte de «peur du vide», elle n’aura accordé aucune pause à l’auditoire. Par exemple, avouons qu’un tableau plus «statique» nous aurait davantage convenu lors de la musique de la chaconne conclusive afin de mieux en profiter. On regrette également, même si l’image de la voile est en plein accord avec le contexte, qu’une des scènes de la tempête ait été jouée derrière de fins rideaux, instaurant de fait une distance qui aura sans nul doute amoindri bien des effets. Certains éléments de décor nous ont en revanche totalement séduit, à l’image de ce palais dont seules les fondations et les voûtes furent tout d’un coup installées sur la scène de l’Opéra royal. Même si l’on aurait pu préférer des costumes sinon d’époque, en tout cas moins impersonnels (la lutte entre les partisans de Pan et d’Apollon lors du Prologue nous renvoyant davantage au face-à-face entre les Jets et les Sharks de West Side Story), l’ensemble de la mise en scène aura plutôt servi la musique, sans toutefois apporter de véritable plus-value.


Jordi Savall avait une ambition: monter une version scénique d’Alcione. C’est chose faite et avouons que les presque trois heures de musique (presque quatre heures pour le spectacle dans son entier) passent rapidement tant on est transporté par une musique raffinée, rappelant à qui l’aurait oublié que Marin Marais ne fut pas seulement un gambiste de génie mais également un orchestrateur de premier plan.


Captation de la création de cette production à l’Opéra-Comique au printemps 2017:





Le site du Concert des Nations et de Jordi Savall
Le site de Lea Desandre
Le site de Marc Mauillon
Le site de Lisandro Abadie
Le site d’Hasnaa Bennani
Le site de Lise Viricel
Le site de Yannis François
Le site de Gabriel Jublin



Sébastien Gauthier

 

 

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