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L’opéra de l’enfance brisée

Aix-en-Provence
Théâtre du Jeu de Paume
07/10/2001 -  et 13, 17*, 19, 22, 23, 25, 27 juillet 2001
Benjamin Britten : The Turn of the Screw (Le Tour d’écrou)
Mireille Delunsch (The Governess), Hanna Shaer (Mrs Grose), Pablo Strong (Miles), Pippa Woodrow (Flora), Marlin Miller (Peter Quint), Marie McLaughlin (Miss Jessel), Olivier Dumait (prologue)
Mahler Chamber Orchestra, Daniel Harding (direction)
Luc Bondy (mise en scène)



Selon Xavier de Gaulle, un «grand spécialiste» de Benjamin Britten, qui rédige le texte du programme, le sens du Tour d’écrou (1954) serait ambigu, impossible à cerner, multiple, fuyant. «Nous n’aurons jamais de clef définitive pour comprendre ce que ces enfants ont fait avec ces spectres quand ils étaient en vie» affirme-t-il. Est-ce de l’aveuglement ou autre chose ? Ecoutons l’intendante du manoir (Mrs Grose) à propos du premier fantôme, effrayée : «Quint prenait des libertés avec tout lemonde, avec le petit maître Miles» (l’un des deux enfants), «Ces heures qu’ils passaient ensembles !», plus loin, «il obtenait ce qu’il voulait, nuit et jour» (scène 5 du premier acte). On pourrait multiplier les exemples mais la totalité du livret va dans ce sens : les deux enfants (Miles et Flora) ont été victimes d’actes pédophiles de la part de l’ancien valet (Quint) et de l’ancienne gouvernante (Miss Jessel). Pourquoi ne pas dire cette évidence, c’est tabou ? Benjamin Britten, homosexuel déclaré, concédait qu’il «n’aimerait pas dire ce qu’il (Le Tour d’écrou NDLR) révèle de sa propre personnalité», affirmant par là une contiguïté potentielle (taboue pour certains, justement) entre ces deux «orientations sexuelles». Le roman éponyme de Henry James, publié en 1898, raconte avec acuité les conséquences dévastatrices de ces traumatismes sur les enfants. Les fantômes de leurs bourreaux décédés symbolisent ici leurs cauchemars, leur névrose (comme Freud le montrera quelques années plus tard) et, dans le même temps, les peurs et les angoisses (devant ce qu’elles pressentent) de l’intendante et de la nouvelle gouvernante. Le garçon (Miles) ne s’en libérera qu’en mourant, en traitant le spectre de Quint de «démon ». Britten signe ici un tableau bouleversant de l’enfance brisée, lui qui se sentait profondément concerné par l’idée de l’enfance corrompue par les adultes (n’en déplaise au biographe suscité qui considère cette assertion comme un cliché...).


Grand homme de théâtre, Luc Bondy met en évidence ce traumatisme inavouable (Quint derrière Miles se balançant sur son cheval en bois, Quint torse nu dans le lit de Miles). Des décors neutres et modulables concentrent le regard sur un jeu d’acteurs précis et réfléchi. La sobriété et l’efficacité de son travail sont remarquables.


Opéra «de chambre» (13 instruments dans la fosse), virtuose, intensément lyrique et austère à la fois, Le Tour d’écrou est un joyau. Daniel Harding et le «MCO» (Malher Chamber Orchestra) sont impressionnants de précision et d’intensité. Mais cet opéra ne peut prendre forme sans des interprètes d’exception pour jouer les difficiles rôles des enfants. Pablo Strong (12 ans) et Pippa Woodrow (13 ans), du Peter Kay Children’s Choir, sont formidables de justesse vocale et d’implication scénique. Les deux revenants, Quint et Jessel, rendent tout le côté malsain de leurs personnages. L’excellente mezzo Hanna Shaer campe une intendante tourmentée et apeurée avec beaucoup de justesse. Mais c’est surtout la performance de Mireille Delunsch en gouvernante qui retient l’attention : à l’aise dans toute l’étendue de son registre de soprano, impériale dans les fortissimos, son timbre chaleureux reste d’un égal bonheur dans toutes les situations. Ce rôle sombre lui convient idéalement et en appelle d’autres...





Philippe Herlin

 

 

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