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Jupiter et Calisto chez les ours

Strasbourg
Opéra national du Rhin
04/26/2017 -  et 28, 30 avril, 2*, 4 (Strasbourg), 12 (Mulhouse) mai 2017
Francesco Cavalli : La Calisto
Elena Tsallagova (Calisto), Vivica Genaux (L’Eternité, Diane), Giovanni Battista Parodi (Jupiter), Nikolay Borchev (Mercure), Filippo Mineccia (Endymion), Raffaella Milanesi (Le Destin, Junon), Guy de Mey (Lymphée), Vasily Khoroshev (Le petit Satyre), Lawrence Olsworth-Peter (La Nature, Pan), Jaroslaw Kitala (Sylvain), Tatiana Zolotikova, Yasmina Favre (Deux Furies)
Les Talens Lyriques, Christophe Rousset (direction musicale, clavecin et orgue)
Mariame Clément (mise en scène), Julia Hansen (décors et costumes), Marion Hewlett (lumières)


(© Klara Beck)


Au lieu de paraphraser, citons plutôt les propos tenus par Mariame Clément dans le programme de cette Calisto, opéra qu’elle qualifie ouvertement d’"érotique" : "La musique de Cavalli est plus sensuelle, plus charnelle encore, que chez Monteverdi. Quant au livret de Faustini, il ne parle que de ça ! La Calisto explore toutes les facettes de l’amour humain, mais vraiment toutes. C’est un véritable catalogue: l’amour conjugal, l’amour extra-conjugal, l’amour hétérosexuel, l’amour homosexuel, l’amour violent, l’amour platonique, l’amour chaste, l’amour charnel. Des premiers frémissements du puceau aux doutes de la vieille fille, tout y est."


Tout un programme, effectivement, mais aussi un terrain glissant, les sous-entendus de ce milieu de 17e siècle vénitien, teinté de références antiques et d’insouciance italienne, étant plus faciles à formuler en texte qu’à manier sur scène. Sans prétention, avec beaucoup de sensibilité et de tact, Mariame Clément parvient à suggérer ce pire avec peu de gestes bien ciblés, qui suffisent à corser juste assez l’action dont le livret déjà joyeusement épicé défile en surtitrage. En définitive, on s’amuse beaucoup en compagnie d’un Jupiter toujours volage, qui se travestit cette fois en Diane pour piéger la farouche nymphe Calisto et abuser d’elle. La différence avec le modèle antique étant que le livret de Faustini insinue que Jupiter n’a pas forcément repris son apparence masculine avant d’initier Calisto à de "douces jouissances", et que de toute façon, dès lors qu’il est apparu à la nymphe déguisé en femme, il n’a pas eu à la forcer du tout... Mais les obsessions sexuelles d’un groupe de satyres dotés d’attributs joyeusement exagérés, ou encore celles d’un enfant satyre précocement salace qui jette son dévolu sur une vierge déjà mûre mais affectée du même type de chaleurs qu’à peu près tout le monde ici, ne sont pas moins savoureusement croquées, en tout cas sans réelle vulgarité.


Cela dit, La Calisto reste aussi un opéra baroque, avec son lot de commentaires sentencieux et de conventions (l’indispensable Prologue). Trouver le bon cadre, l’armature qui va correctement permettre l’assemblage, n’est pas évident et finalement l’expédient choisi par Mariame Clément et Julia Hansen s’avère fécond. Partant de la métamorphose forcée de Calisto en ours, châtiment infligé par une Junon comme d’habitude jalouse, elles enferment toute l’action dans une fosse aux ours de zoo, avec sa cohorte de gardiens, agents d’entretien, vétérinaires... Des personnages modernes que l’on va retrouver aussi dans l’action mythologique sous une forme parallèle, juste un peu décalée. Les passages d’un monde à l’autre pourraient paraître artificiels ou contraints mais ils sont surtout facteurs de fluidité, même s’il faut parfois renoncer à vouloir tout comprendre dans ce jeu compliqué. L’idée de cet ours, objet de curiosité, bête de cirque, féroce à l’occasion mais aussi objet de transferts affectifs proches du monde de l’enfance hisse en tout cas ce travail de Mariame Clément à un niveau nettement supérieur que les systèmes trop contraignants dans lesquels elle s’enferme d’habitude.


Musicalement aussi les options se tiennent. On sait qu’il faut considérer les partitions de Cavalli comme de simples canevas détaillés, à partir desquels tout un processus de recréation reste à faire. En partant d’un matériel publié par l’Université de Yale, Christophe Rousset a choisi surtout une certaine sobriété. Une douzaine de musiciens seulement en fosse, continuo classique de cordes pincées, les timbres plus insolites de deux cornets, et aussi, pour les lignes vocales, un renoncement à l’ornementation surchargée des cadences, au profit d’un chant plus fluide et naturel. Rousset peut compter aussi sur une distribution dotée de voix conséquentes pour habiter parfaitement cette sobriété. Vivica Genaux dispose ainsi d’un capital expressif qui lui permet d’assumer sans problème le rôle de Diane mais aussi celui de Jupiter travesti en Diane, en rendant ce déguisement sensible par des intonations différentes. C'était déjà là l'option choisie par Raymond Leppard, notable découvreur moderne de Cavalli, avec Janet Baker dans les deux rôles, et effectivement c’est la formule la mieux à même de traduire l’ambiguïté sexuelle particulière de toute cette affaire (mieux en tout cas qu'un Jupiter se muant tout à coup en falsettiste pour séduire sa Calisto trop farouche). Elena Tsallagova, Mélisande accomplie, aborde Calisto avec les mêmes moyens : à pleine voix, sans fausses fragilités. C’est une héroïne décidée, qui sait ce qu’elle veut. On se laisse aussi ravir par les transports poétiques de l’Endymion de Filippo Mineccia, contre-ténor qui sait jouer des zones de couleurs et d’ombre de sa voix avec beaucoup de subtilité, mais aussi de sincérité. Excellents Mercure de Nikolay Borchev, baryton de comédie tout aussi à l’aise ici qu’il l’est dans Richard Strauss d’habitude, Raffaella Milanesi en Junon, ou encore Guy de Mey en rôle travesti (le personnage de Lymphée rejoint ainsi la cohorte des « nourrices » trop mûres et parodiques chère à l’opéra baroque : on n’est pas sûr que cela soit effectivement ce que Cavalli désirait, mais l’effet comique est de bon aloi). Déception relative en revanche avec le Jupiter caverneux de Giovanni Battista Parodi, ou encore avec le terrible Pan de Lawrence Olsworth-Peter (certes dans un rôle de composition : l’aurait-on choisi précisément pour la laideur de sa voix ? En ce cas, c’est réussi !).



Laurent Barthel

 

 

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