About us / Contact

The Classical Music Network

Berlin

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Médée, migrante et exclue

Berlin
Komische Oper
05/21/2017 -  et 25 mai, 5, 20, 25 juin, 2, 15 juillet 2017
Aribert Reimann : Medea
Nicole Chevalier (Medea), Anna Bernacka (Kreusa), Nadine Weissmann (Gora), Ivan Tursic (Kreon), Günter Papendell (Jason), Eric Jurenas (Herold)
Orchester der Komischen Oper Berlin, Steven Sloane (direction musicale)
Benedict Andrews (mise en scène), Johannes Schütz (décors), Victoria Behr (costumes), Simon Berger (dramaturgie), Diego Leetz (lumières)


N. Chevalier (© Monika Rittershaus)


Médée, huitième opéra du compositeur berlinois Aribert Reimann, vient de connaître avec un grand succès sa première berlinoise, sept ans après sa création mondiale au Staatsoper de Vienne.


Aucun des opéras de Reimann (né en 1936), tous des Litteratur-Opern (opéras fondés sur des œuvres littéraires) n’a atteint à la notoriété de Lear, créé à Munich en 1978. La création mondiale en février 2010 de Médée, son pendant féminin selon le compositeur, commande du Staatsoper de Vienne, n’a été suivie que de sa création allemande à Francfort-sur-le-Main en août de la même année. Les deux ont été enregistrées, à Vienne pour la vidéo (Arthaus) et à Francfort pour l’audio (Oehms Classics). Le compositeur attendait avec impatience cette création dans sa ville natale, qui est le premier événement d’une série qui va voir à partir de ce 25 juin la reprise de son opéra de chambre La Sonate des spectres au Staatsoper dans le cadre du festival de théâtre musical «Infektion!», suivie de la création mondiale à l’automne de L’Invisible, son dernier opéra, au Deutsche Oper.


Pour Médée, opéra en deux parties d’une bonne centaine de minutes, Reimann a écrit le livret à partir de la Médée (1820) de Franz Grillparzer, dernier volet de sa trilogie La Toison d’or, très centré sur le personnage de Médée, dans lequel «elle est présentée plus comme un être humain étranger, abandonné et vulnérable que comme une magicienne maléfique». «Je ne pourrais m’inspirer d’un sujet qui n’aurait rien à voir avec notre actualité» disait Reimann en 2010. Sept ans après, son sujet semble encore plus d’actualité dans le contexte actuel des migrations, de l’exclusion et de l’enfermement des déracinés, du trafic d’enfants et de la violence du pouvoir. On sait gré au metteur en scène australien Benedict Andrews et au scénographe Johannes Schütz de ne pas avoir pris lourdement cette piste au pied de la lettre. Leur lecture se revendique plus de la tragédie grecque euripidienne que d’une interprétation fondée sur le sort des migrants dans l’Europe contemporaine.


Sur la scène vide éclairée au néon par un énorme plafonnier blafard et recouverte de terre molle, que creuse incessamment Médée pour y enfuir la Toison d’or et d’autres objets puis finalement ses garçons assassinés, il n’y a guère que la figuration de sa maison en silhouette par des cordes, qu’elle finit par détruire, un muret et tout au fond de la scène un banc sur lequel sont assis les protagonistes du drame entre leurs interventions. Les garçons sont figurés par deux marionnettes géantes habillées comme des enfants d’aujourd’hui. Les costumes varient selon le caractère des personnages, le plus surprenant étant celui du Messager, confié à un contre-ténor habillé en drag queen de cabaret. Les rapports entre les personnages sont très bien définis, on comprend parfaitement l’action, mais on ne peut s’empêcher de déplorer la lourdeur de certains procédés largement déjà vus, déjà trop utilisés, comme celui de tout recouvrir de terre, ou bien l’utilisation de peinture – Jason peint Médée de blanc après son échec à jouer de la lyre. Quelques bouffées de légèreté n’auraient pas nui au propos dramatique, quelques pointes d’humour non plus. Tout est d’un sérieux et d’un dramatisme étouffant.


L’écriture vocale est fidèle au style de Reimann avec l’utilisation d’un Sprechgesang en force varié selon les personnages, plus ou moins haché, plus ou moins scandé, et déclamé presque à nu. Celui de Médée utilise même un procédé quasi sériel basé sur la série M-E-D-E-A. Sa difficulté est immense avec beaucoup de contre-fa, soulignant le caractère inhumain du personnage (on pense plus d’une fois à celui de Lulu comme référence). Dans tous les cas, on peut déplorer une utilisation de ces lignes vocales plus proche du cri que du chant. Il manque certainement, principalement à Médée, au moins un arioso par lequel elle aurait pu exprimer son histoire et sa personnalité sanguinaire, un peu à la manière de l’ «Allein, ganz allein» de l’Elektra de Richard Strauss, qui s’impose comme la référence modèle de l’œuvre, jamais surpassée dans la mise en musique du drame antique grec. Et puisque référence il y a, on peut déplorer que l’œuvre ne soit pas jouée d’un seul tenant, l’entracte jouant toujours un rôle déplorable dans la continuité dramatique.


Le traitement orchestral est admirable, plus riche, plus élaboré que dans Lear, avec l’utilisation d’instruments solistes ou de tenues de cordes pour souligner les interventions chantées, un orchestre riche en percussions (des gongs sont placés dans la salle de part et d’autre de la fosse). Reimann utilise toujours beaucoup le procédé de clusters instrumentaux mais parsème sa partition d’interventions tendres, quasi romantiques, de cordes à l’unisson, créant quelques pauses dans l’agitation orchestrale. On est plus dans le modernisme à la Berg ou Zimmermann que dans une modernité radicale.


L’interprétation de cette entrée au répertoire, dans un théâtre qui, depuis l’arrivée à sa tête de l’Australien Barrie Kosky, se fait un devoir de soigner le répertoire contemporain, est superlative. Autant le soin apporté par le chef Steven Slaone, Generalmusikdirektor à Bamberg, à la tête de l’orchestre maison pour rendre justice à une partition aussi complexe que magnifique, que la distribution minutieusement choisie et dominée dans le rôle-titre par un membre de la troupe du Komische Oper, le soprano américain Nicole Chevalier. Cette superbe chanteuse, dont on dit qu’elle est l’arrière-petite-fille de notre Maurice national, a une voix de soprano colorature venant à bout de toutes les difficultés du rôle et une présence dramatique très forte. Pour le rôle de Jason, le baryton Günter Papendell était le seul à apporter un surcroît d’humanité à ses interventions vocales très périlleuses. Le contre-ténor Eric Jurenas était aussi spectaculaire vocalement que physiquement dont son habit de cabaret. Magnifique aussi la contralto Nadine Weissmann en nourrice Gora ainsi qu’Anna Bernacka et Ivan Tursic en Créuse et Créon. Le public de la première a réservé au rideau final une ovation bien méritée à toute l’équipe ainsi qu’au compositeur, paraissant très à l’aise au milieu de ses interprètes.



Olivier Brunel

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com