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Contresens musical?

Berlin
Philharmonie
05/05/2017 -  
Simon Holt : Surcos (création)
Anton Bruckner : Symphonie n° 8 en ut mineur (éd. Haas)

Berliner Philharmoniker, Sir Simon Rattle (direction)


S. Dohr


Même si l’Orchestre philharmonique de Berlin l’a bien entendu donnée à de multiples reprises au cours de son histoire, et encore récemment sous les baguettes de Christian Thielemann (décembre 2008), de Zubin Mehta (mars 2012) et de Herbert Blomstedt (janvier 2015), la Huitième Symphonie de Bruckner n’a, sauf erreur, jamais été dirigée par Sir Simon Rattle à la tête de l’orchestre dont il est, pour un an encore, le directeur musical. Il était donc intéressant de voir le résultat à l’aune, d’une part, de sa récente interprétation parisienne de cette même symphonie à la tête de l’Orchestre symphonique de Londres et, d’autre part, de l’incroyable concert brucknérien de la veille avec le Philharmonique de Vienne.


En prélude à ce concert, premier d’une habituelle série de trois, Surcos (2016) de Simon Holt (né en 1958), dont le Philharmonique signait là la création mondiale. Brève pièce (six minutes) écrite en hommage à Sir Peter Maxwell Davies, cette composition requiert l’ensemble de l’orchestre qui, des trois harpes à la flûte piccolo (tenue pour l’occasion par Emmanuel Pahud) en passant par le hautbois (joué ce soir, y compris d’ailleurs lors de la symphonie de Bruckner, par Dominik Wollenweber, habituel titulaire du cor anglais), alterne passages endiablés (marqués par de forts accents de cuivres) et moments plus rêveurs, faisant appel pour l’occasion à toutes les stridences possibles des premiers et seconds violons, disposés de part et d’autre du chef. Applaudissements polis, bouquet de fleurs remis au compositeur monté sur scène à l’invitation de Rattle, un seul rappel: pas sûr que cela laisse un grand souvenir dans la mémoire des spectateurs présents.


Il faut dire que le public était bien entendu venu pour autre chose tant, depuis quelques années, Bruckner semble avoir détrôné Mahler dans le répertoire des grands orchestres. Pour l’occasion, Berlin alignait ses forces: Daniel Stabrawa en Konzertmeister, la plupart des solistes habituels (Emmanuel Pahud à la flûte, Andreas Ottensamer à la clarinette, Stefan Dohr au cor, Christhard Gössling au trombone...), des pupitres de cordes foisonnants (les huit contrebasses étant emmenées pour l’occasion par le formidable duo Matthew McDonald et Janne Saksala)... Et pourtant, le résultat ne fut pas à la hauteur de nos attentes.


La faute en premier lieu à l’orchestre car, même si, sur le papier, on ne pouvait rêver mieux, la petite harmonie fut étonnamment terne et imprécise: des attaques de flûte souvent assez dures, un hautbois solo sans grand charme, une clarinette solo qui persiste, concert après concert, à jouer trop pianissimo et sans le son velouté que l’on aimerait entendre, notamment à la fin du premier mouvement (Allegro moderato)... Certes, la première entrée des quatre Wagner-Tubendans l’Adagio. Feierlich langsam; doch nicht schleppend fut magnifique, le pupitre de cors (et spécialement les solos de Stefan Dohr, chaleureusement salué au moment des saluts) fut souvent irréprochable, et Wieland Welzel fut impérial aux timbales. On ne peut passer non plus sous silence la finesse des violons (des trémolos imperceptibles dans le premier mouvement, offrant aux cor et hautbois solos un écrin comme on en entend rarement) ainsi que la profondeur d’un pupitre de violoncelles au sommet de sa forme. Une phalange d’exception donc mais avouons que, prise de manière globale, on l’a souvent entendue en meilleure forme.


La faute en second lieu, et même surtout, à la conception que Sir Simon Rattle se fait de cette symphonie. Souhaitant sans doute alléger le discours et insuffler une certaine légèreté, voire fraîcheur, le chef anglais adopte des tempi assez allants mais ne sait pas suffisamment prendre son temps. Après tout, dans le deuxième mouvement, Karl Böhm allait bon train! Mais, ce soir, l’orchestre (non plus que le public d’ailleurs) n’a pas le temps de respirer, notamment dans le si génial troisième mouvement: au début par exemple, après la montée des trois harpes, Rattle enchaîne immédiatement sur l’entrée des cordes alors qu’il serait à notre sens préférable de laisser le temps légèrement suspendu avant, ensuite, de plonger dans ces basses telluriques. De même, le Scherzo est pris assez rapidement de telle sorte que l’on perd (comme ce fut le cas à la fin du premier mouvement) la dimension implacable de la symphonie, le contraste de tempo avec le Trio n’étant de fait pas très marqué. En outre, la direction de Rattle qui, tel un coloriste, fait ressortir tel ou tel trait en particulier, s’avère souvent suggestive et imprécise, occasionnant ici ou là de très légers moments de flottement, voire de décalages.


Certes, Sir Simon Rattle a choisi de prendre le contrepied de Böhm, Giulini, Jochum ou Karajan (pour prendre quatre exemples avec le même orchestre, les témoignages en concert des deux premiers ayant été publiés chez Testament, des deux suivants chez Deutsche Grammophon dans le cadre de leurs intégrales respectives) et cela peut fonctionner. Le fait est néanmoins que l’on a perdu de vue ce soir ces grandes arches mélodiques, cette appréhension monumentale (qui peut être légère par ailleurs!) et cette noirceur qui, à notre sens, font que Bruckner est Bruckner.


Sans pour autant rejeter un concert qui fut d’une très grande qualité, avouons que nous étions loin de l’enthousiasme suscité par Herbert Blomstedt la veille. A ce petit jeu, le score final ne fait guère de doute: Vienne 1 – Berlin 0.



Sébastien Gauthier

 

 

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