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Une réussite

Madrid
Teatros del Canal (Sala Negra)
03/20/2017 -  et 24 ,25, 27 février (Wien), 22, 23 mars (Madrid) 2017
Fabián Panisello: Le Malentendu
Edna Prochnik (La mère), Anna Davidson (Martha), Kristján Jóhannesson (Jan), Gan-ya Ben-gur Akselrod (Maria), Dieter Kschwendt-Michel (Le vieux domestique)
Orquesta Titular del Teatro Real (Orquesta Sinfónica de Madrid), Walter Kobéra (direction musicale)
Christoph Zauner (mise en scène), Diego Rojas Ortiz (décors et costumes), Norbert Chmel (lumières), Alexis Baskind (conception du son), Christina Bauer (directrice du son), CIRM, Centre National de création musicale de Nice (électronique), Chris Ziegler (vidéo)


K. Jóhannesson, G. B. Akselrod (au premier plan),
A. Davidson, E. Prochnik (au second plan) (© Armin Bardel)



Le Malentendu, opéra de chambre en français de l’Hispano-Argentin Fabián Panisello (né en 1963), témoigne de ce que l’opéra est encore possible, sans renoncer au chant, au conflit, au théâtre, sans rougir devant la prétendue supériorité morale et esthétique des profits anciens et épuisés de l’avant-garde. Parce que Panisello est avant-gardiste, mais pas du tout un épigone. Sa carrière comme musicien, compositeur, directeur artistique et aussi administratif au besoin, est celle d’un musicien au sens le plus large. La richesse de cet opéra, production du Teatro Real et des Teatros del Canal (en coproduction avec le Teatro Colón, l’Opéra de chambre de Varsovie, le festival d’Automne de Varsovie, le Neue Oper Wien et le Centre national de création musicale de Nice), créé à Buenos Aires et repris à Varsovie puis à Vienne, réclamerait une critique plus détaillée, tant il est riche en situations définies par les couleurs, les timbres, le mélange d’instruments, de voix et d’image.


La pièce d’Albert Camus, créée juste après la Libération, avec une courte distribution incluant Maria Casarès, est bien connue. On peut parler de l’absurde, certainement, c’est un mot, un concept incontournable pour la littérature dramatique de l’époque, avant même les créations de Beckett et Ionesco, mais après Le Mythe de Sisyphe; or, Le Malentendu est aussi une histoire de la cruauté (deux des personnages sont cruels, les deux femmes malheureuses et implacables), mais la cruauté est, surtout, celle de la situation pour des personnages tragiquement aveugles, une histoire, un conflit dessinés sur le paysage d’une Europe sinistre, un reflet de l’Europe allemande éphémèrement triomphante, celle de l’Occupation, la guerre, le désespoir.


Dans la pièce de Camus, comme en général dans le théâtre français, on parle, on parle. Beaucoup parfois. Comme dans la scène presque finale entre les deux femmes; j’ai vu et lu souvent cette pièce, et je suis toujours étonné par le dialogue entre Maria et Martha, l’épouse et la sœur assassine; on a la tentation de lui dire: «mais, Maria, elle dit qu’elle vient de tuer ton mari, et elle sait déjà qu’il était son frère!» Un des grands atouts de l’opéra de Panisello est précisément la définition des lignes vocales, des tessitures, voire des cris grâce, entre autres, aux sauts des intervalles vers la hauteur, assez éprouvants pour les sopranos, spécialement le rôle de Martha.


Martha est presque toujours en scène, sa ligne est dessinée comme «accablement», et peut-être aussi comme «hystérie», depuis l’angoisse et l’exaltation jusqu’à l’effondrement final. Une tragédie, dans la mesure où il pèse quelque chose sur les personnages, inconnu d’eux tous, menant à la catastrophe. Martha est le grand atout de cet opéra réussi, et justement Anna Davidson est la voix de premier plan dans cette production. Le voyage vocal de Davidson est toute une prouesse, devenant le fondement de toute la production, le grand complice de cette partition heureuse.


«Moins est plus», telle est l’une des devises morales et esthétiques de Panisello. Moins d’instruments, moins de mots, moins d’effectifs, moins de voix... et tout cela veut dire «plus»: de sens, de suggestions, de contenu. Ainsi, le groupe instrumental, restreint, est composé de quatre cordes, trois bois (y compris le saxophone... s’il appartient aux bois), trois cuivres, claviers, percussion et sons enregistrés. La couleur, associée au tempo et aux dynamiques, sert sans cesse comme définition du personnage, de la situation dramatique, parfois de la double condition de l’un ou de l’autre: le solo de Jan, dans sa chambre, juste avant de boire le thé fatal, est accompagné par les sons très voisins du saxophone et la clarinette basse, alternés, suggérant la double condition de Jan. L’orchestre (dissimulé, d’où un grand nombre d’écrans pour les chanteurs) sert très bien les objectifs de l’opéra avec les gestes mesurés, pas du tout violents, de Walter Kobéra (la violence est dans l’action, et justement le chef doit garder le calme, afin de soutenir les musiciens dans une partition difficile, complexe, où l’accompagnement nerveux, pétillant, scintillant, ne connaît pas le sens du mot «phrase»).


La mise en scène et la définition de l’espace théâtral sont magistrales et mises au service de l’action, de l’opéra, de la situation lyrique-dramatique. On peut être étonné, mais cela devrait être la règle, pas l’exception. L’économie de moyens respecte la devise «moins est plus»: la petite chambre sur scène, derrière une toile transparente servant aux belles et très significatives projections vidéo; le petit comptoir «roulant» au niveau du public du premier rang; le même niveau, à la manière d’une avant-scène, pour quelques scènes en dehors de la chambre. La richesse de la mise en scène (la même qu’on a pu voir à Vienne, avec la même distribution) est aussi pleine de détails définissant la trame et les caractères, et il faut insister sur le rôle important de la vidéo, pendant l’action et pendant les intermèdes instrumentaux dont les noms sont liés à l’action et aux personnages: le jardin de Maria, la mère, Jan, Martha, l’eau (l’eau de la pluie, mais surtout l’eau de la rivière gonflée par la pluie, la rivière où plongeront les cadavres de Jan et de la mère).


La distribution, avec des jeunes voix, forme un ensemble dévoué à cet opéra qu’on croit destiné à un bel avenir. Il y a la formidable soprano américaine Anna Davidson, certainement, on l’a déjà vu, mais aussi le très jeune baryton islandais Kristján Jóhannesson, transformé sur scène en adulte à la belle voix de baryton clair, et la très wagnérienne Edna Prochnik, une voix grave d’une tension contenue pour le rôle, féroce et hésitant en même temps, de la mère, mais aussi la voix du soprano israélo-américain Gan-ya Ben-gur Akselrod en Maria, dont la magistrale définition vocale a été déjà esquissée: c’est elle qui conclut l’opéra, d’abord avec Martha fuyant vers la mort, puis avec le sobre domestique de Dieter Kschwendt-Michel, qui clôt l’opéra et la pièce avec son très fameux «non».


C’est vrai, cet opéra est un opéra de conversation, en un sens, une conversation tempérée par la poésie et la quasi-versification de Juan Lucas d’après Camus, mais après tout dans la tradition, quoique très corrigée et plus économique («moins est plus»), de Richard Strauss et de ses contemporains exilés ou morts, ou du Janácek de Makropoulos, une tradition interrompue par le nazisme (ce dont a profité ensuite l’avant-garde). Et la conversation chantée est aussi situation dramatique, comme chez ces illustres ancêtres.


Dommage: les Teatros del Canal n’ont concédé que trois représentations cet opéra dans la «salle noire», c’est-à-dire 600 personnes environ (800 au total avec la répétition générale). Un peu mesquin, dira-t-on, mais à guichets fermés: un succès total. Cet opéra en français, par un musicien et un librettiste de langue espagnole, a été représenté dans des villes non francophones. La prosodie-musique frôle la perfection. Il faudrait entendre, voir Le Malentendu dans un théâtre français, belge, suisse, canadien... Le mot «chef-d’œuvre» nous hante. On dirait... On verra...


Le site de Fabián Panisello



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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