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Déjà légendaire ? Versailles Opéra royal 03/03/2017 - et 4* (Versailles), 11, 12, 14, 15 (Bordeaux), 23, 24 (Caen) mars 2017 Luigi Rossi : Orfeo Judith van Wanroij (Orfeo), Francesca Aspromonte (Euridice), Giuseppina Bridelli (Aristeo), Giulia Semenzato (Venere, Proserpina), Nahuel Di Pierro (Augure, Plutone), Ray Chenez (Nutrice, Amore), Renato Dolcini (Satiro), Dominique Visse (Vecchia), Victor Torres (Endimione, Charone), Marc Mauillon (Momo), David Tricou (Apollo), Alicia Amo (Première Grâce), Violaine Le Chenadec (Deuxième Grâce), Floriane Hasler (Troisième Grâce), Guillaume Guttierres (Première Parque), Olivier Coiffet (Deuxième Parque), Virgile Ancely (Troisième Parque)
Ensemble Pygmalion, Raphaël Pichon (direction)
Jetske Mijnssen (mise en scène), Ben Baur (décors), Gideon Davey (costumes), Bernd Purkrabek (lumières), Barbara Nestola (conseillère linguistique), Claudia Isabel Martin (assistante à la mise en scène), Julia Berndt (assistante décors), Véronique Kespi (régie générale), Danièle Haas (régie de scène), Pierre Galon, Arnaud de Pasquale et Matthieu Boutineau (chefs de chant)
(© Opéra national de Lorraine)
Lorsque le cardinal Mazarin succède en 1642 au cardinal Richelieu comme principal ministre d’État, ce passionné de musique italienne fait venir à Paris nombre d’artistes de la Péninsule dont l’influence, notamment sur Lully, sera considérable. Dès le mois de décembre 1645, La finta pazza de Francesco Sacrati est donnée au Palais Royal avant que l’Egisto de Cavalli ne soit représenté en 1646. 1646 marque également l’arrivée du compositeur romain Luigi Rossi (1597-1653) à Paris, au mois de juin, Mazarin lui commandant immédiatement un opéra destiné à être représenté devant la Reine régente et le jeune Louis XIV: ce sera Orfeo, donné devant la Cour au Palais Royal, le 2 mars 1647. En dépit du succès des premières représentations, la partition fut perdue jusqu’à sa redécouverte par Romain Rolland, en 1888, à Rome. Ce n’est pourtant qu’en 1984 que l’opéra réapparaît, son premier enregistrement sous la direction de William Christie (Harmonia Mundi) devant encore attendre quelques années puisqu’il n’intervient qu’en 1990...
En 2015, Raphaël Pichon et Miguel Henry travaillèrent avec acharnement à l’établissement d’une nouvelle édition qui, supprimant «certaines sous-intrigues qui alourdissent et diluent la tension dramatique» (pour reprendre les mots de Pichon dans le programme) ainsi que certains passages obligés (à commencer par le traditionnel Prologue célébrant la politique menée par le Roi), fit l’objet d’une recréation scénique triomphale à l’Opéra national de Lorraine de Nancy en février 2016, production donnée à Versailles quelques jours plus tard. C’est ce spectacle qui voyage désormais de l’Opéra royal de Versailles à Caen en passant par le Grand Théâtre de Bordeaux, ville d’attache de l’Ensemble Pygmalion.
Si les six heures du spectacle originel qui, agrémenté des machineries du fameux Torelli et de tous les fastes possibles, ont été raccourcies à seulement trois heures, on ressort de cette représentation totalement ébloui.
Ce n’est pourtant pas la mise en scène qui doit être prioritairement retenue. Certes, Jetske Mijnssen a choisi non de se faire plaisir mais de servir la musique et on peut lui en savoir gré: pas de gestique inutile ou de pose immobile (sauf, mais le contraste était superbe, au début du deuxième acte, lors d’un duo entre Orphée et Eurydice au milieu de tous les autres chanteurs immobiles, seule la scène circulaire s’animant doucement au son de la musique), pas d’incongruité notable (encore que l’agonie d’Eurydice sur une table peut prêter à sourire...), mais au contraire un jeu d’acteurs savamment dosé où chaque attitude est en totale adéquation avec le caractère du personnage et son chant. Dans un décor circulaire de grande salle de bal aux murs de bois, couverts de tentures noires le temps de la descente aux Enfers, les chanteurs évoluent dans un décor minimaliste, arborant des costumes modernes (Momus et le jeune Amour ressemblant à des adolescents de tous les jours avec tee-shirt et casque audio sur la tête) magnifiquement réalisés (le travail sur les plumes des chapeaux ou la dentelle des robes) comme en témoigna le superbe contraste entre la robe blanche de la défunte Eurydice et le noir ouvragé des habits de tous les autres chanteurs assemblés autour d’elle à la fin du deuxième acte. Seule la représentation des Enfers donna lieu à une imagination assez originale mais là aussi convaincante, chaque protagoniste arborant une coiffure ou un masque des plus originaux (tête de poisson, de cervidé, casque brillant...), faisant penser en plus d’une occasion aux tableaux surnaturels L’Enfer ou Le Jugement dernier de Jérôme Bosch.
Mais évidemment, ce qui retient surtout l’attention, c’est une équipe vocale tout bonnement idéale où personne, qu’il campe l’un des personnages principaux ou un rôle secondaire, ne fait défaut à une perfection d’ensemble qu’on a rarement vue à ce niveau. Certes, l’opéra s’intitule Orfeo mais, dans les faits, ce n’est ni lui, ni même Eurydice qui impressionne mais bien davantage le personnage de l’amant bafoué Aristée, toujours amoureux d’Eurydice en dépit des engagements de cette dernière et qui en viendra à commettre le geste fatal qui précipitera l’ouvrage, s’apparentant jusque-là à une pastorale agréable, dans une inéluctable tragédie. Giuseppina Bridelli est tout simplement formidable: chant altier, prononciation idéale, caractérisation des plus fines (il faut dire qu’Aristée s’affirme sans doute comme le personnage le plus complexe), elle impose sa figure du début à la fin de l’œuvre. Dans le couple de héros, Francesca Aspromonte (dont Laurent Brunner, directeur de «Versailles Spectacles», nous a pourtant dit avant le début de la représentation qu’elle était légèrement souffrante...) s’impose elle aussi. Certes, le souffle est parfois un peu ténu et quelques aigus un rien étriqués mais la performance générale l’emporte très largement: doucement rêveuse au début (tout à son amour avec Orphée lorsqu’elle chante, citons les paroles en français, «Quand un cœur amoureux est heureux, qu’attend-il de plus?»), réaffirmant ses principes moraux au deuxième acte notamment contre Aristée (y compris lors de son agonie), vengeresse presque à l’adresse d’Aristée lors du troisième acte, Francesca Aspromonte joue sur tous ces registres avec la même réussite qui atteint son sommet lors de son agonie (deuxième acte), poignante. Troisième personnage central, Orphée, parfaitement incarné par Judith van Wanroij: quelle musicalité là aussi, notamment dans le premier acte (le duo avec Eurydice «Quelle douceur que l’assurance de deux cœurs amants») et dans le dernier acte lorsqu’il implore la pitié de Charon, afin que ce dernier laisse une dernière chance à sa bien aimée.
Les autres personnages sont tout aussi convaincants. Les deux cautions «humoristiques» de l’opéra que sont Momus et la vieille sont merveilleuses à souhait: Marc Mauillon qui, à défaut de mouiller la chemise, n’hésite pas à l’enlever lorsqu’il se moque des femmes au cours de la fête réunissant tous les protagonistes (acte I) dans un air où toute sa technique vocale et sa musicalité s’affirment avec un exceptionnel talent. Et bien sûr l’impayable Dominique Visse, méconnaissable en Vénus vieillie: formidable numéro de chanteur et d’acteur à la fois! Si David Tricou est un très bon Apollon, on retiendra surtout dans les autres rôles ceux du Satyre (excellent Renato Dolcini à la voix puissante, doté lui aussi d’indéniables talents de comédien) et d’Endymion (Victor Torres, qui chante également le rôle de Charon). Le jeune Ray Chenez convainc davantage dans le rôle de la Nourrice (très beau trio inaugural au premier acte, d’ailleurs, entre Eurydice, Endymion, son père, et la nourrice) que dans celui de l’Amour, même s’il incarne parfaitement le suppôt de Vénus. Vénus justement: comment ne pas saluer la délicieuse Giulia Semenzato qui, tant physiquement qu’artistiquement, fut idéale, la finesse de son chant ayant impressionné à chacune de ses interventions? Enfin, les deux trios (les trois Grâces d’un côté, les trois Parques de l’autre) de même que les autres membres du chœur de l’Ensemble Pygmalion furent au diapason du plateau: excellents.
Le fait que Luigi Rossi ait associé les Vingt-quatre Violons du Roi (ensemble fondé sous Charles IX en 1577!) à la création de son opéra explique en grande partie la richesse instrumentale d’Orfeo. Quel contraste avec certains opéras de Monteverdi ou Cavalli, plus âpres en raison d’un instrumentarium plus ténu! La trentaine de musiciens dirigée d’une main de maître par Raphaël Pichon fut pour beaucoup dans la réussite de cette représentation. Bouclant la boucle, on saluera en premier lieu la harpe de Marta Graziolino qui commença, seule, Orfeo et qui lui donna ses presque dernières notes. En deuxième lieu, chapeau bas aux cordes (et à une basse continue des plus impliquées), d’un lyrisme et, chose assez étonnante pour un orchestre baroque, d’une plénitude et d’une ampleur parfois incroyables (l’air d’Endymion à l’adresse d’Eurydice «Ma douce fille, quelle musique» au premier acte!). Enfin, les vents (les deux cornets, Emmanuel Mure tenant également la trompette quand la partition le nécessitait, le sacqueboute) et les percussions donnèrent à l’ensemble une richesse de timbres qui couronnèrent une représentation saluée debout par une grande partie des spectateurs.
Face à un tel résultat, qu’on nous permette de demander à Raphaël Pichon de vite enregistrer Orfeo avec la même équipe. Ils le doivent à tous ceux qui ont été transportés par ce spectacle; ils le doivent à tous ceux qui n’ont pas eu la chance d’y assister et qu’il ne faudrait pas priver d’un tel chef-d’œuvre par de tels artistes!
Le site de l’Ensemble Pygmalion et de Raphaël Pichon Le site de Judith van Wanroij
Le site de Francesca Aspromonte
Le site de Giuseppina Bridelli
Le site de Giulia Semenzato
Le site de Ray Chenez
Le site de Victor Torres
Le site de Marc Mauillon
Le site de David Tricou
Le site d’Alicia Amo
Sébastien Gauthier
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