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Un Stabat Mater en version kaléidoscopique

Montpellier
Opéra Comédie
01/31/2017 -  et 1er, 2*, 3 février 2017
Antonín Dvorák : Stabat Mater, opus 58, B. 71
Helena Juntunen (soprano), Agatha Schmidt (alto), Dovlet Nurgeldiyev (ténor), Ilya Silchukov (basse)
Chœur de l’Opéra national Montpellier Occitanie, Noëlle Gény (chef de chœur), accentus, Christophe Grapperon (chef de chœur), Orchestre national Montpellier Occitanie, Laurence Equilbey (direction musicale)
Sandra Pocceschi, Giacomo Strada (conception, réalisation, participation scénique), Matteo Bambi (lumières), Studio Yuri Ancarani (réalisation vidéos)




A la tête de l’Opéra national de Montpellier depuis 2014, Valérie Chevalier s’attache à renouveler le répertoire avec des approches aussi iconoclastes – au premier abord – qu’intelligentes. La récente Soupe Pop, en décembre dernier, en a livré une remarquable illustration, et le Stabat Mater de Dvorák confié à Sandra Pocceschi et Giacomo Strada – que l’on a pu apprécier et L’Enfant et les sortilèges et L’Hirondelle inattendue fin 2015 – constitue un autre avatar de cette extension du domaine lyrique, n’en déplaise à certains cerbères aboyant au blasphème face à cette sortie d’une pièce religieuse hors de son écrin rituel consacré, fût-il le concert.


Constant dans le pays natal du compositeur tchèque, le succès initial du Stabat Mater de Dvorák s’est passablement assoupi pendant plusieurs décennies à l’Ouest jusqu’à Rafael Kubelík, avec la Radio bavaroise et la complicité d’un enregistrement discographique, au milieu des années soixante-dix. Trente ans plus tard, Laurence Equilbey grave la version originale pour piano créée de manière posthume et éditée après avoir été découverte dans une collection privée. C’est la mouture orchestrale, plus commune, que la chef d’orchestre française défend pour les soirées montpelliéraines mêlant les forces de l’Orchestre national Montpellier Occitanie et du chœur de la maison aux voix d’accentus.


Equilibrant puissance des ensembles et lyrisme plus intimiste au fil des numéros, la lecture proposée et la conception scénographique, sorte de kaléidoscope onirique et politique inspiré par le poème de Jacopone da Todi, se répondent avec pertinence. Vaste page non exempte d’effets rhétoriques, le Stabat Mater augural résonne comme un appel de la terre ou de la mémoire souffrante de l’humus figurée par un chœur qui se meut sous une toile noire, après une séquence introductive où Sandra Pocceschi avance sur un plateau presque vierge, nue comme le Christ sur sa croix symbolisée par une immense barre de bois clouant les bras derrière le dos. Le quatuor du Quis est homo met en avant des solistes à la coiffure punk qui galbent le crâne à la manière de casques de légionnaires romains. Une panne technique permet de réentendre l’intense Eja Mater, sur fond de carrière de marbre au milieu d’une forêt que le négatif accidentel de la vidéographie réalisée par le Studio Yuri Ancarani pourrait confondre avec quelque souvenir du film Délivrance de Boorman.


A partir du Fac ut ardeat, porté par la basse Ilya Silchukov, la matière glyptique extraite est ensuite façonnée virtuellement pour creuser une niche où l’on placerait quelque pietà. Fac ut portem Christi mortem, duo entre soprano et ténor, où l’expressivité de Helena Juntunen s’allie à l’éclat de Dovlet Nurgeldiyev, dessine l’un des plus profonds tableaux du spectacle, avec un pierrot au-dessus d’un couvercle de bouche d’égout devenu lune, transsubstantiant le sordide en sublime avec une émouvante économie de moyens et de liturgie. Inflammatus et accentus révèle la remarquable chair vocale de l’alto Agatha Schmidt, grimée en marginale qui a réuni tous ses biens dans un caddie. Quant au finale, Quando corpus morietur, c’est sur des hordes aux marges de la société consumériste que se referme une réflexion poétique au carrefour existentiel entre la disqualification sociale et le sentiment religieux. Déroutant et stimulant à fois, le travail de Sandra Pocceschi ne cherche pas à reconstituer un artificiel fil narratif et préfère inviter le spectateur à la richesse imaginaire du texte du Stabat Mater au-delà de sa fonction primitive: à rebours de certain diktat du divertissement, l’émotion et la pensée se nourrissent mutuellement.



Gilles Charlassier

 

 

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