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Une page d’histoire Strasbourg Opéra national du Rhin 01/11/2017 - et 12, 13, 14*, 15 (Strasbourg), 21, 22 (Colmar), 28, 29, 31 (Mulhouse) janvier 2017 Le Rouge et le Noir Uwe Scholz (chorégraphie), Hector Berlioz (musiques)
Yann Lainé (Julien Sorel), Céline Nunigé (Madame de Rênal), Anna Ishii (Mathilde de la Mole), Alain Trividic (Monsieur de Rênal), Sandra Ehrensperger (Elise), Claude Agrafeil (La Marquise de La Mole), Alexandre Van Hoorde (Le Marquis de La Mole), Ballet du Rhin
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Myron Romanul (direction musicale)
Philippe Miesch (décors), Thibaut Welchlin (costumes), Maryse Gautier (lumières) Y. Lainé, C. Nunigé (© Jean-Luc Tanghe)
Le Rouge et le Noir (ou encore, pour revenir à l’appellation d’origine, Rot und Schwarz), d’après Stendhal, sur des musiques de Berlioz, est un grand ballet sorti de l’imagination d’Uwe Scholz quand ce dernier était directeur de la compagnie de l’Opéra de Zurich. Créé en 1988, il s’inscrit dans la continuité des grands ballets «littéraires» dont l’Onéguine de John Cranko (1965) et La Dame aux camélias de John Neumeier (1968) constituent de magnifiques exemples. L’ambition de coller au plus près de la trame d’un roman, tout en s’appuyant sur des musiques d’un seul compositeur artistement assemblées, a donné chez Cranko et Neumeier des résultats tellement subtils que ces opus restent fréquemment représentés dans leur intégralité, y compris par d’autres compagnies que celles qui les ont dansées initialement. On n’en dira pas autant pour Le Rouge et le Noir, dont on doit la présente recréation surtout à l’engagement de longue date d’Ivan Cavallari en faveur d’Uwe Scholz, brillant chorégraphe disparu jeune en 2004, après une fin de carrière difficile marquée par d’intenses problèmes d’alcoolisme et de dépression.
Malgré un sérieux dépoussiérage, en particulier sur les costumes et les décors (excellent travail de Philippe Miesch, qui garde à l’esprit les anciennes maquettes de Toni Businger mais en les allégeant, en rajoutant à leur aspect de constructions ajourées une allure plus élégante de silhouettes en papiers découpés, sur des fonds très lumineux), le premier contact est difficile. On a l’impression d’un exercice de style mal transcendé, comme si Scholz restait prisonnier de son patchwork musical sans réussir à y trouver suffisamment d’espaces de fluidité. Les ensembles, le plus souvent limités à quelques courts élans sur des tutti d’orchestre, paraissent étriqués, les pantomimes narratives s’astreignent à suivre les principales péripéties du roman de Stendhal mais sans paraître pour autant très lisibles... L’ennui n’est pas toujours loin, ce autant plus que l’Orchestre philharmonique de Strasbourg n’a pas sorti sa flamme des grands soirs pour l’occasion. L’anonymat relatif de la fosse, son acoustique mate aussi, transforment une phalange brillante en un orchestre un peu blasé, sous la direction d’un chef de ballet certes efficace mais qui n’a pas l’air non plus d’un berliozien surexcité. Difficile de comparer ce Carnaval romain ou cette «Chasse royale et orage» des Troyens à ce que l’orchestre est capable d’en tirer dans d’autres circonstances.
Les lignes de force vont finir par apparaître, mais avec un certain retard. Le pas de deux de Madame de Rênal et Julien Sorel, sur la Scène d’amour de Roméo et Juliette envoie déjà quelques beaux signaux, encore que l’ambiance y soit moins poétique que le célèbre pas de deux de La Dame aux camélias de Neumeier, dont Schulz recycle d’ailleurs certaines attitudes. Mais ce sont surtout le pas de deux très agité, mi-séduction mi-combat, de Julien Sorel et Mathilde de La Mole, sur l’Orgie des brigands d’Harold en Italie, et enfin le bouleversant exutoire amoureux final entre Madame de Rênal et Julien, juste avant l’exécution de ce dernier, excellente récupération de la musique de la «Grande fête chez Capulet» de Roméo et Juliette, qui charpentent ce ballet, à défaut de pouvoir en faire oublier l'allure morcelée voire parfois maladroite (le grand carrousel militaire où se cachent de nombreuses danseuses affublées de moustaches afin de grossir l’effectif !). Historiquement, cet ouvrage qu’on nous présente comme le «dernier grand ballet romantique», conserve une valeur certaine et atteste en tout cas de la grande culture musicale et de la sensibilité exacerbée de son auteur. Cela dit, si l’on en sort séduit, c’est au prix de nombreux passages plus ternes, à conserver cependant, faute de quoi l’argument littéraire deviendrait illisible.
En tout cas le Ballet du Rhin a réussi à faire sien le style chorégraphique d’Uwe Scholz, grâce au travail minutieux effectué par son ex-collaborateur Giovanni di Palma. Les ensembles sont aussi naturels que possible, avec un remarquable souci du détail. Quant aux trois solistes principaux, avec une mention particulière pour le Julien Sorel de Yann Lainé, pas toujours impeccable techniquement mais d’un beau rayonnement, ils nous font ressentir une large gamme d’émotions. Si le Ballet du Rhin pouvait réussir à garder à son répertoire ce ballet, qui a somme toute les défauts et les qualités d’un projet trop ambitieux, mais qui reste à ce titre éminemment respectable, ce serait finalement une bonne acquisition.
Laurent Barthel
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