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After Bach Vienna Konzerthaus 01/14/2017 - et 18 (Zürich), 20 (Schaan), 21 (Chiasso) janvier, 9 (La Jolla), 10 (Los Angeles), 12 (San Francisco), 16 (Washington) mars, 2 avril (Cambridge) 2017 Johann Sebastian Bach : Das wohltemperierte Klavier, Erster Teil (Préludes n° 3, BWV 848, n° 6, BWV 851, & Prélude et Fugue n° 12, BWV 857) & Zweiter Teil (Prélude n° 1, BWV 870, & Fugue n° 16, BWV 885) – Partita pour clavier n° 4, BWV 828: Allemande
Brad Mehldau : Three Pieces After Bach: After Bach 1. Rondo, After Bach 2. Ostinato & After Bach 3. Toccata – Improvisations on Bach I & II Brad Mehldau (piano)
B. Mehldau (© Michael Wilson)
Brad Mehldau est désormais un habitué du Konzerthaus, se produisant avec rareté (une fois l’an) mais constance devant le public viennois. Le pianiste américain parvient avec succès à brouiller les pistes durant son récital: alternant en théorie systématiquement une pièce de Bach avec une de ses propres compositions, il nous emporte en fait dans une aventure en crescendo qui transcende les frontières du classique et du jazz. Modifiant la régularité du programme initial, il devient au fur et à mesure du concert quasiment anecdotique de savoir si nous entendons du Bach, du Mehldau ou bien une de ses improvisations: s’il se défend catégoriquement de «jazzer» Bach (comme l’ont fait tant d’autres), sa lecture des Préludes et Fugues originels est cependant imperceptiblement imprégnée d’un esprit non classique. Oh, presque rien – mais au détour d’une appogiature un peu trop appuyée, ou à la manifestation d’un rythme un peu trop syncopé, on note une appropriation involontaire de la musique de Bach. Et inversement, les œuvres de Brad Mehldau ne s’écartent souvent que très que progressivement de leurs sources d’inspiration, utilisant rythmes et thèmes comme des associations d’idées qui s’appellent les unes les autres.
Si la première partie laissait déjà transpirer de belles couleurs crépusculaires, il faut attendre la seconde pour entendre le pianiste monter en puissance et nous faire totalement lâcher prise. La polyphonie devient plus équilibrée, les enchaînements harmoniques plus audacieux – en ne renonçant jamais à ce timbre velouté et à cette ambiguïté riche de sentiments. Ceux qui quittent la salle après le premier bis pourront le regretter éternellement car le meilleur reste à venir: le standard de Gershwin How Long Has This Been Going On joué en apesanteur, suspendu aux doigts de Mehldau. L’interprète fait corps avec son instrument, nous laissant entrevoir une connexion directe de son cerveau vers les cordes. Des notes à peine effleurées viennent enrichir l’harmonie, apportent une tension insoutenable, pour toujours miraculeusement retourner vers la grille de blues. Mon voisin, le pianiste Hyung-ki Joo, en reste bouche bée et secoue la tête comme un gamin émerveillé. Il y a des moments où il faut savoir ne plus résister, mais simplement accepter la musique telle quelle – tout en sachant que cet instant ne reviendra plus.
Dimitri Finker
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