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Le talent confirmé de Cornelius Meister Paris Philharmonie 01/11/2017 - et 12* janvier 2017 Carl Maria von Weber : Der Freischütz, opus 77, J. 277 : Ouverture
Ludwig van Beethoven : Concerto pour piano n° 5 «L’Empereur», opus 73
Alexander von Zemlinsky : Die Seejungfrau Elisabeth Leonskaja (piano)
Orchestre de Paris, Cornelius Meister (direction)
(© Nancy Horowitz)
On s’est bien juré de ne manquer aucun concert de Cornelius Meister, découvert à Bastille lorsque Gerard Mortier lui avait confié en 2009 la première française de La Passion de Simone (une version concert) de Kaija Saariaho. A bientôt 37 ans, le chef allemand s’est aujourd’hui fait un nom, surtout depuis qu’il a pris la direction de l’Orchestre symphonique de la Radio de Vienne en 2010. Son troisième concert à la tête de l’Orchestre Paris n’a pas déçu.
La silhouette est mince, l’allure décidée, à l’image de sa direction : rien d’empesé dans l’Ouverture du Freischütz, où la direction va tout droit, nous rappelant que Weber appartient au premier romantisme. Tout repose sur les contrastes dynamiques, mais sans que le temps se fragmente : on sent le chef de théâtre. Autant de qualités qui font le prix de sa lecture de La Petite Sirène de Zemlinsky, créée en même temps que le Pelléas et Mélisande de son élève et beau-frère Schoenberg, très vite victime de la notoriété de l’inventeur du dodécaphonisme... et de son retrait volontaire par son auteur. Comme toutes les œuvres des héritiers de Wagner, la partition, qui témoigne de l’originalité d’un compositeur qu’on ne pourrait confondre ni avec Strauss ni avec Schreker, exige une grande maîtrise de la masse orchestrale. Cornelius Meister y parvient d’emblée, dessinant les lignes et veillant à l’équilibre des plans sonores. La musique, surtout, avance, à la faveur d’une direction très narrative et d’une gestion parfaite du temps musical : c’est ainsi qu’elle relève le défi de la durée – près de trois quarts d’heure de musique... comme le Pelléas schoenbergien. Un regret ? Qu’il n’y ait pas ici ou là un peu plus de rondeur et d’abandon, notamment dans la musique de l’eau de la première partie, d’autant plus que rien n’est à craindre d’un Orchestre de Paris à la hauteur de l’enjeu – mais ce refus de lâcher la bride n’assèche pas la partition comme c’était le cas de la Septième Symphonie de Mahler à Bastille. Cela vient sans doute de la perspective choisie : plus qu’à la création de climats, le chef s’attache à tendre les ressorts du drame, jusqu’à la métamorphose de l’ondine en fille de l’air.
Entre Weber et Zemlinsky, Elisabeth Leonskaja joue un Empereur des grands soirs – alors que, à force de ce Cinquième Concerto, on finit par être blasé. L’attelage avec le jeune chef fonctionne parfaitement : elle est, comme lui, une force qui va et sait où elle va. Voici un Empereur nullement statufié, d’un héroïsme conquérant, d’une énergie digitale que les années n’ont pas émoussée, sans la moindre raideur – le Rondo a parfois des allures de danse. Et le jeu de la pianiste, dans un Adagio un poco mosso frémissant, déploie tout un éventail de couleurs. Le bis, superbe, suspend le temps : c’est l’Andante de la Sonate en la majeur D. 664 de Schubert.
Ce concert, comme celui de la veille, est donné à la mémoire de Georges Prêtre.
Didier van Moere
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