About us / Contact

The Classical Music Network

Paris

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Promesses d’avenir ?

Paris
Maison de la radio
01/12/2017 -  
Serge Rachmaninov : Concerto pour piano n° 3 en ré mineur, opus 30
Antonín Dvorák : Symphonie n° 7 en ré mineur, opus 70, B. 141

Denis Matsuev (piano)
Orchestre national de France, Emmanuel Krivine (direction)


E. Krivine (© Philippe Hurlin)


Intimidant, pour les pianistes, le Troisième Concerto de Rachmaninov ? Discriminant, plutôt. Il y a ceux, prudents, qui ne s’y risquent pas (à l’exemple initial du Polonais Josef Hofmann, dédicataire de l’œuvre, doté paraît-il de facultés prodigieuses et qui pourtant refusa l’obstacle, peut-être aussi par manque d'affinités musicales avec la partition). Il y a ceux qui croient pouvoir s’y risquer, alors qu’à l’évidence ils ne devraient pas... Et puis il y a ceux qui peuvent, et le Sibérien Denis Matsuev, avec sa carrure d’athlète et ses mains énormes, appartient manifestement à cette dernière catégorie. A l’instar d’un Horowitz, encore qu’avec des moyens bien différents, il n’éprouve aucune difficulté apparente à « dévorer cette musique tout cru », pour reprendre une expression du compositeur passée à la postérité.


L’avantage certain de moyens aussi puissants : on échappe miraculeusement à la tentation du chichi, de l’esbroufe, du détail inutilement souligné. Rachmaninov d’une seule coulée, en grande arche : c’est si évident, si rare aussi ! Le revers : une certaine massivité, avec des graves magnifiques mais qui cimentent parfois les phrases dans un mortier un peu glaiseux. On apprécierait qu’une telle aisance technique, doublée d’une connaissance de l’ouvrage approfondie jusqu’à ses plus infimes détails (Matsuev a énormément joué ce concerto, partout dans le monde), puisse à présent s’accompagner d’une certaine prise de hauteur, avec des gradations plus subtiles, des éclairages plus variés... Serait-ce trop demander à un artiste d’un tel gabarit ? Assurément non.


Emmanuel Krivine, lui, cherche manifestement de ce côté, avec des allégements, des jeux de timbre, et peut-être trop de préméditations. Au point parfois de ne plus réussir à rester en phase avec le piano. L’acoustique de l’auditorium de la Maison de la radio, très clémente pour le soliste qui n’est jamais englouti par la masse orchestrale (Matsuev paraît insubmersible de toute façon), est en revanche impitoyable pour chaque détail orchestral, et certains flottements créent de curieux effets d’improvisation. Piano et orchestre tantôt se rejoignent tantôt prennent leurs distances : cette élasticité a son charme, mais à condition de ne pas dépasser certaines limites, ce qui arrive quand même assez souvent.


A l’heure des bis (que l’on n’attendait pas vraiment, vu le format du concerto joué juste avant), Matsuev nous rappelle qu’il est aussi un passionné de jazz, avec une longue improvisation... Style plutôt soutenu mais quand même un bizarre changement d’ambiance, comme si l’on nous faisait passer sans transition de Carnegie Hall au bar du Plaza Hotel voisin. Mais vu le potentiel de frappe du pianiste, gageons que même transplanté là, il parviendrait à faire taire les conciliabules et les tintements de cuiller. C’est tout simplement renversant ! Auparavant, plus classique : une Etude-Tableau de Rachmaninov, construite avec un son tellement nourri qu’on en oublie presque qu’à ce moment-là l’orchestre, toujours présent, ne joue plus.


En seconde partie, Emmanuel Krivine aborde la Septième Symphonie de Dvorák avec beaucoup d’idées en tête. Des rythmes et des rebonds vifs, une alacrité typiquement tchèque, ou du moins pensée telle, mais qu’un Orchestre national moyennement bien réveillé peine à reproduire avec un enthousiasme véritable. Malgré la forte présence physique du chef, l’élan ne se maintient jamais partout en même temps, et à chaque détail réussi dans un secteur correspond le plus souvent un détricotage ailleurs. Cela dit toutes ces intentions sont intéressantes, avec même de subtils moments de poésie dans le Poco adagio et enfin une véritable fougue dans l’Allegro final, au prix de gesticulations sémaphoriques mais efficaces. Même si le résultat pèche souvent par ses approximations, les ferments d’une collaboration intéressante sont bien là, de bon augure pour le mandat à venir d’Emmanuel Krivine au National, à partir de la saison 2017-2018.


Curieux bis, pour ce concert dédié à la mémoire de Georges Prêtre, récemment disparu. L’hommage est sans morosité aucune, mais pourquoi pas : une Pizzicato-Polka de Strauss jouée avec un mélange raffiné de musicalité et d’humour, voire pimentée d’un inattendu duo de triangles, timbalier d’un côté, chef de l’autre, et couronnée par une coda déviante digne d’un Festival Hoffnung !



Laurent Barthel

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com