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Réminiscences

Baden-Baden
Festspielhaus
12/21/2016 -  
Frédéric Chopin : Chopiniana (Les Sylphides) (orchestrations Taneïev, Glazounov...)
Igor Stravinsky : L’Oiseau de feu
Nikolaï Rimski-Korsakov : Shéhérazade

Ballet et Orchestre du Théâtre Mariinsky, Valery Gergiev (direction)


D. Vishneva & K. Zverev (Shéhérazade)
(© Natasha Razina/Théâtre Mariinsky)



L’heure est à la danse comme chaque fin d’année à Baden-Baden, avec l’installation du ballet du Théâtre Mariinsky pour une longue semaine, avec toute la compagnie, l’orchestre, les techniciens et une série de productions du répertoire de la troupe. S’ajoute à cela un public spécifique venu en grand nombre (pas moins de 14000 balletomanes ont investi la petite ville de Baden-Baden pour assister à l’événement !).


Valery Gergiev s’est déplacé en personne pour diriger l’une de ces soirées. Mais même lui doit se contenter d’une phalange « B » qui n’a avec son orchestre habituel qu’une parenté assez lointaine. Autant d’habitude l’identité sonore de ces musiciens d’élite apparaît infaillible, au prix d’une certaine massivité parfois, autant là on baigne dans une ambiance d’improvisation permanente : cuivres hasardeux, sonorités graillonnantes et bizarres, tempi précautionneux... Certes un grand chef est aux commandes mais manifestement les répétitions ont été réduites au plus juste, et tout le monde se raccroche aux branches (pendant un bref silence de L’Oiseau de feu on entend même Gergiev compter ses temps à haute voix... sans doute pour réorienter quelques pupitres égarés !). Le miracle est que malgré ces aléas, la sauce réussit à prendre, les musiciens restant quand même dans un élément qui leur est coutumier (Stravinsky, Rimski-Korsakov). Mais au concert, sans l’appui visuel de la danse, ce méli-mélo russe parsemé de grumeaux ferait assez piteuse figure.


Serge Diaghilev était citoyen pétersbourgeois d’adoption, ce qui a sans doute incité la compagnie à réintégrer dans son répertoire quelques productions des Ballets russes, dans un état aussi original que possible. Des reconstitutions tardives, d’après des maquettes de décors et costumes restées dans les archives, et alimentées pour le reste par une tradition souvent orale qui doit comporter de nombreuses lacunes. A chaque instant le doute s’installe devant une chorégraphie dont se demande ce qu’elle doit vraiment au Michel Fokine auquel on les attribue. Mieux vaut se contenter d’une certaine impression d’ensemble, à défaut d’informations plus rigoureusement vérifiables. Même au niveau des costumes, pour lesquels existe quand même une riche iconographie d’archives, on s’interroge par exemple sur le curieux tutu rouge porté par le personnage de L’Oiseau de feu, qui n’a pas grand rapport avec les croquis de Bakst pour Karsavina, ni avec le portrait de la danseuse dans ce rôle par Jacques-Emile Blanche. Une authenticité à prendre avec des pincettes, mais des ambiances prenantes, la magie des couleurs et le travail très riche sur la matière des costumes, respectés par des éclairages pas trop violents, donnant une impression évocatrice de cet exotisme oriental qui mit le public parisien en émoi au début du siècle dernier.


La chorégraphie de L’Oiseau de feu, qui laisse une grande place à la pantomime, ne nécessite pas forcément de solistes très virtuoses. Ici on distingue surtout l’Oiseau de Yekaterina Ivannikova, qui joue les volatiles effarouchés avec classe. Le corps de ballet dispose de toute la partie « infernale », à l’arrière-plan des contorsions de l’enchanteur Katscheï, pour se livrer à une sorte de jerk anguleux bien coordonné mais quand même assez bizarre pour une chorégraphie d’époque. Pourquoi pas, le résultat demeurant assez évocateur d’une ambiance de conte fantastique... Grâce aux superbes harmonies de couleur entre costumes et toiles peintes, on passe de beaux moments.


Remonter Shéhérazade est encore plus intéressant, au vu de l’énorme empreinte laissée par ce ballet oriental et érotique dans l’imaginaire parisien de l’époque. La reconstitution visuelle semble cette fois plus fidèle et la magie de toutes ces étoffes teintées de couleurs complémentaires, oranges sur bleus, est vraiment extraordinaire. Le scénario est en revanche très daté (un sultan s’absente et pendant ce temps tout son harem s’amuse en compagnie d’esclaves musculeux, en contorsions suggestives qui allongent les couples lascifs dans tous les coins... le retour du sultan sonnera évidemment l’heure d’une vengeance terrible !) et la superposition de ces événements basiques à un poème symphonique célèbre divisé en plusieurs volets très contrastés, pour lesquels chacun a passé de nombreuses années à se construire un imaginaire visuel très différent et surtout beaucoup plus varié, gêne assez souvent. Mais qu’importe, cette ambiance de cinéma muet à l’orientale, où tout se dit dans le geste (le pas de deux entre la sultane et son esclave doré, qui tente de restituer les étreintes sublimées des Nijinsky et Ida Rubinstein d’origine) est amusante, avec un effet d’immersion dans un passé lointain qui fonctionne de façon très efficace. Excellentes prestations de Diana Vishneva et Konstantin Zverev, dans l’exécution de cette chorégraphie compliquée voire athlétique (Ida Rubinstein possédait-elle vraiment autant de ressort et de souplesse à l’époque ?), même si la sensualité du résultat paraît davantage construite qu’intensément vécue.


Passons en début de soirée sur un Chopininia académique, où le corps de ballet du Mariinsky fonctionne avec une parfaite synchronisation des mouvements mais où les solistes persistent dans une interchangeabilité mécanique assez éprouvante. Un ballet blanc sur des orchestrations de Chopin longuettes (surtout parce que jouées à des tempi très lents) et qui ne tient que grâce à la minutie des mouvements imaginés par Fokine, persévérations sans doute techniquement exigeantes, mais dont la répétitivité finit par indifférer. On aurait préféré Le Spectre de la rose, que le Mariinsky présentait antérieurement en ouverture de cette soirée Diaghilev.



Laurent Barthel

 

 

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