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Schubert chez Pauline Viardot

Baden-Baden
Festspielhaus
11/29/2016 -  et 6 novembre 2015 (Berlin), 15 (Genova), 26 (London) avril, 13 mai (Essen), 30 (Frankfurt) novembre, 1er décembre (Köln) 2016
Franz Schubert : Sonates n° 22 en la majeur, D. 959, et n° 23 en si bémol majeur, D. 960
Karol Szymanowski : Mazurkas opus 50: n° 13 à n° 16

Krystian Zimerman (piano)


K. Zimerman (© Kasskara/DG)


Un récital de piano est déjà en lui-même un exercice d’isolement (rappelons qu’une artiste de la trempe de Martha Argerich se refuse à ce genre d’épreuve depuis de nombreuses années). Or dans cette catégorie déjà difficile, un récital Schubert est peut-être l’épreuve la plus particulière que l’on puisse trouver. Ces longues promenades solitaires, avec leurs redites, leur présence hypnotique et leur surcharge en accords qui incrustent le discours dans le clavier, imposent de prendre parti, forcent à se révéler à soi-même. Il y a là une invitation à envoyer au public une image très intime de soi, avec ses parts d’ombre et d’angoisse, et on imagine l’exercice encore plus difficile quand un peu de trac vient s’y glisser. Au fil des années on a pu vivre de nombreuses soirées de ce type, par les plus grands: Serkin, Arrau, Brendel, Schiff, Barenboim... A chaque fois le résultat est différent. Et souvent on en retire l’impression de n’avoir jamais ressenti d’aussi près la personnalité d'un interprète, sa musicalité la plus profonde, sa sensibilité, voire ses peurs.


Les parades sont aussi multiples : la rage (Serkin), la noblesse absolue (Arrau), le quadrillage millimétré (Brendel), l’apparente désinvolture (Barenboim)... Avec Krystian Zimerman, on serait plutôt dans une forme de romantisme grande manière, transplantation de Schubert dans des salons où l’interprèteraient un Liszt ou un Chopin. Le modeste Schubert semble mis à distance comme un cas d’espèce, un phénomène humain infiniment émouvant mais exposé dans un cadre. Même l’ouragan central de l’Andantino de la Sonate D. 959, pourtant extrêmement impressionnant en termes de puissance brute, avec ses véritables grondements d’orage qui sortent du piano, ne nous transporte pas hors de l’univers spécifique de l’instrument à marteaux. On reste dans la représentation, la nature ne s’invite pas dans l’histoire avec une violence qui ne laisserait rien debout (réécouter l’enregistrement, pourtant obsolète techniquement, de Rudolf Serkin, pour comprendre l’ampleur potentielle de ce passage). Même rémanence forte du geste pianistique dans l’Andante sostenuto de la Sonate D. 960, dont les balancements lents restent avant tout des élans moteurs du bras gauche, sans accéder totalement au statut de ponctuation d’éternité.


Somme toute Zimerman a choisi de rester du même côté du miroir que nous, ce qui est son droit le plus strict, mais de ce fait il ne nous renvoie pas grand chose de lui-même, si ce n’est l’image d’une certaine timidité. On reste dans un travail de récitaliste d’une discipline technique vraiment princière (la palette de nuances, la finesse du toucher, l’art de nimber le tout d’une pédale assez généreuse qui ne brouille pas la lisibilité harmonique...) mais on ne bascule jamais dans l’éternité, l’effroi, le pathos. Le choix est respectable, élégant, comme la silhouette du pianiste, mince et mesurée sous une volumineuse crinière blanchie, tête attentivement penchée sur la partition posée dans le piano (ou, à défaut de partition, une sorte de montage imprimé dont il faut assez rarement tourner les pages, comme un aide-mémoire visuel pour ne pas se perdre seul sur les sentiers de la forêt viennoise...).


Choix d’esthète aussi, de faire alterner Schubert et Szymanowski. Quatre Mazurkas de l’Opus 50 en fin de première partie, et en bis à la fin du concert trois Préludes de l’Opus 1 (très post-chopiniens encore, ceux-là, assez difficilement attribuables à leur auteur). L’art du toucher, la préméditation des résonances sont à nouveau superbes (on pense immédiatement à l’enregistrement miraculeux des Préludes de Debussy de Krystian Zimerman chez DG : on baigne dans le même univers infinitésimal). Entre les émois étouffés du compositeur viennois et l’idiome cultivé du compositeur polonais il semble y avoir plusieurs mondes d’écart, mais que le pianiste parvient à englober dans le même geste grâce à une technique décidément fastueuse.


On sort du Festspielhaus, peu rempli en cette froide soirée d’hiver (Zimerman n’est plus aujourd’hui un phénomène vendeur, ni Lang Lang ni Sokolov, et son public s’est peut-être érodé doucement, à force de discrétion et de raréfaction des apparitions), avec une impression d’accomplissement, mais sans avoir entrevu d’abîmes.



Laurent Barthel

 

 

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