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L’orchestre en pleine pâte

Strasbourg
Palais de la Musique
11/03/2016 -  et 4 novembre 2016
Béla Bartók : Musique pour cordes, percussion et célesta, Sz. 106
Serge Prokofiev : Concerto pour violon n° 1 en ré majeur, opus 19
Claude Debussy : La Mer

Charlotte Juillard (violon)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Marko Letonja


C. Juillard


Charlotte Juillard n’est pas assise à sa place habituelle de premier violon solo en ce début de concert, et pourtant ce qu’elle a réussi a insuffler en peu de saisons aux cordes aiguës de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg demeure nettement perceptible : une cohésion, une envie d’ensemble retrouvée, une chaleur d’expression toute nouvelle. Gageons qu’il y a encore trois ans personne n’aurait osé programmer ici la Musique pour cordes, percussion et célesta de Bartók, véritable défi pour le quatuor d’un orchestre, de peur de n’y obtenir qu’une exécution plombée par ses aspects d’intendance laborieuse. Plus rien de tel maintenant mais au contraire une vraie palette de couleurs, des frémissements subtils, des accents bien contrôlés : un superbe travail, qui valorise à plein une partition mystérieuse que l’on entend souvent au disque mais qui reste rare en concert. Aussi une belle occasion de voir fonctionner les coulisses d’une œuvre que son titre schématise excessivement, puisqu’elle requiert en fait un double orchestre de cordes disposées face à face, un célesta mais aussi une harpe et un piano (avec même pour ce dernier une section à quatre mains qui nécessite du renfort)... Par rapport à nos rares et lointains souvenirs de concert il nous semble aussi que l’acclimater comme ici à un format plus symphonique, avec un effectif de cordes exceptionnellement nourri, la valorise particulièrement bien. A tous égards une entrée en matière brillante, pour ce concert interrompu par un entracte juste après (c’est un peu tôt dans la soirée, mais au vu de la durée impressionnante du changement technique de plateau ensuite nécessaire, on comprend aisément pourquoi !).


A Charlotte Juilliard échoit ensuite de jouer devant ses pairs le Premier Concerto de Prokofiev. Une tâche qui n’est pas facile, et encore moins après le passage du maelström Ibragimova une semaine plus tôt. Mais l’œuvre convient parfaitement à la jeune violoniste française, avec ses chants élégamment posés auxquels elle confère une sensibilité touchante. On ressent bien aussi les qualités de chambriste d’une interprète qui est par ailleurs le leader du jeune Quatuor Zaïde, fondé en 2009. Marko Letonja accompagne sa soliste en toute complicité, là encore un peu fort parfois, mais l’orchestration de Prokofiev est de toute façon plus indulgente avec le soliste que celle de Chostakovitch. Au terme de ce concerto bien proportionné et ramené à une échelle très humaine et sensible, l’orchestre applaudit avec la même chaleur que le public : un très beau moment, en effet.


On retrouve l’orchestre entier pour La Mer de Claude Debussy, magistrale exécution où Marko Letonja peut compter sur l’impact très franc du Philharmonique de Strasbourg dans sa formation actuelle. Ces « Trois esquisses symphoniques » requièrent en effet de véritables effets de matière sonore, à la manière d’un peintre qui y manierait plus volontiers le couteau que le pinceau. Ce n’est pas pour rien qu’à Berlin Claudio Abbado y exigeait 16 violoncelles et 24 premiers violons, tout en se plaignant d’ailleurs, une fois cet effectif somptuaire réuni, que l’orchestre joue beaucoup trop fort ! Il y a là des alchimies, des mystères, des jeux d’épaisseur et de transparences, une véritable pâte sonore à modeler, pour des résultats que l’on suppose relativement variables d’un soir à l’autre. De l’impressionnisme musical, oui, sans doute, pour en revenir à cette terminologie consacrée par l’usage, mais en même temps bien plus que cela. En tout cas, ce que Marko Letonja et l’Orchestre philharmonique de Strasbourg réussissent à obtenir est splendide, à la fois ductile et puissamment charpenté, sans aucune chute de tension. Les «Jeux de vagues» sont même d’une perfection instrumentale rarement entendue à ce degré de maîtrise et surtout de simplicité apparente. Dans le «Dialogue du vent et de la mer», où beaucoup de chefs se laissent volontiers aller à souligner tel ou tel détail , à faire chatoyer ici un timbre ou souligner ailleurs un accent, Marko Letonja préfère opter pour un discours plus global mais très efficace, avec un emballement final parfaitement dosé. Cette Mer a toujours été un beau cheval de bataille pour l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, mais jamais elle n’aura paru aussi techniquement maîtrisée qu’ici.



Laurent Barthel

 

 

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