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Chostakovitch en flux tendu

Strasbourg
Palais de la Musique
10/27/2016 -  et 28* octobre 2016
Dimitri Chostakovitch : Concerto pour violon n° 1 en la mineur, opus 77/99
Wolfgang Amadeus Mozart : Symphonie n° 25 en sol mineur, K. 173dB [183]
Igor Stravinsky : L’Oiseau de feu (Suite, 1919)

Alina Ibragimova (violon)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Marko Letonja (direction)


A. Ibragimova (© Settimane Musicali Ascona)


Agenda automnal chargé pour l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, avec trois programmes symphoniques différents en trois semaines, resserrement imposé par les agendas contraignants des uns et de d’autres. Les services de l’orchestre sont prochainement requis à l’opéra, pour les répétitions de La Petite Renarde rusée à venir en décembre, quant à Marko Letonja, n’oublions pas qu’il est aussi directeur musical aux antipodes. Son Orchestre symphonique de Tasmanie, dont la saison fonctionne certes en opposition de phase, nécessite quand même quelques déplacements prolongés (en l’occurrence, pour cette fin de saison là-bas : deux heures d’extraits de Tristan et Isolde en concert, avec Stuart Skelton et Nina Stemme, rien moins...).


Née en 1985, Alina Ibragimova n’a pas forcément la gracilité physique de ces jeunes pousses du violon qui font un temps la couverture des magazines, mise en beauté impeccable et Stradivarius sous le bras, avant de retourner se confondre dans l’interchangeabilité des circuits internationaux. La jeune violoniste russe offre même tout autre chose : un abord un peu trapu, très concentré d’emblée, silhouette fermement campée, émue peut-être d’un rien de trac au début. Et puis très vite les hésitations se dissipent et l’artiste s’embarque dans un discours fleuve dont elle négocie superbement les moindres virages. S’attaquer au Premier Concerto de Chostakovitch est une tâche ardue et reconnaissons que jusqu’ici ce sont plutôt des archets d’une vigueur très masculine qui nous y ont laissé de grands souvenirs de concert : Gidon Kremer, Oleg Kagan... sans même parler de l’impériale énergie des témoignages discographiques de David Oïstrakh, créateur de ce concerto en 1955. Mais Ibragimova relève le gant et parvient à s’imposer, même si Marko Letonja ne lui facilite pas toujours la tâche en laissant les cuivres caracoler fort. Parfois on apprécierait un peu plus d’égards pour ce violon qui doit dépenser des trésors d’énergie pour ne pas se retrouver englouti. Si les mouvements impairs manquent parfois d’un rien de sostenuto pour que les lignes interminables du melos très particulier de Chostakovitch puissent s’installer dans la durée, en revanche Scherzo et Burlesque sont d’une maîtrise et d’une fermeté dans l’empoignade qui laissent stupéfait. On va retrouver Alina Ibragimova plusieurs fois à Strasbourg au cours de cette saison, en tant que soliste en résidence. Pour l’instant elle prend congé avec un bis peu usité mais captivant : le troisième mouvement («Melodia») de la Sonate pour violon seul de Bartók


Mozart en début de seconde partie, après Chostakovitch et avant Stravinsky ? Pourquoi pas, puisque le relief que confère Marko Letonja à la Vingt-cinquième Symphonie ne risque pas de passer inaperçu. Il s’agit d’une œuvre particulière, précoce encore dans le catalogue mozartien mais déjà imprégnée d’un Sturm und Drang qui n’arrondit plus les angles, d’où son surnom de « petite sol mineur », en référence à l’autre symphonie en sol mineur de Mozart, la plus célèbre Quarantième. A l’évidence Letonja ne cherche pas à nimber ce classicisme-là de quoi que ce soit de socialement aimable et l’héritage d’un Nikolaus Harnoncourt fonctionne à plein régime. Les violons, en constants progrès, parviennent à fouiller leurs traits sans en devenir plus agressifs de timbre, et les oppositions cordes/bois fonctionnent comme autant de changements d’éclairages dramatiquement forts (avec dans l’Allegro con brio, la poésie ineffable des interventions du hautbois de Sébastien Giot : l’effet revient souvent, mais on ne s’en lasse jamais). Somme toute une vision juste, même si le Menuet perd ses appuis dansants au profit d’une lecture qui file très droit.


La Suite de L’Oiseau de feu concentre une série de moments propices à la mise en valeur de tous les pupitres d’une phalange symphonique. Une occasion privilégiée, à ce stade du mandat de Marko Letonja, pour mesurer les progrès énormes accomplis par l’Orchestre philharmonique de Strasbourg en peu d’années : aujourd’hui une formation d’élite, très rajeunie, qui peut nourrir de légitimes ambitions internationales, sous réserve bien sûr de ne pas fléchir dans ses efforts. La «Danse infernale de Kastcheï», permet de situer des zones d'ombres où des progrès sont encore nécessaires : le manque de réactivité des cors et la pâleur des flûtes juste à côté, qui perturbent à tel point les équilibres qu’un dangereux effet de béance s’installe entre les moitiés gauche et droite de l’orchestre. Un décalage à la fois infime et pourtant persistant, désagréable, surtout à ce niveau d’expertise technique par ailleurs. De même, dans la Berceuse, les harpes se complaisent dans une agogique un peu plus relâchée, certes poétique, mais qui du coup incite les premiers violons à retarder par rapport au reste du quatuor. Heureusement, à ce moment-là, on écoute surtout le solo du nouveau bassoniste de l’orchestre, Rafael Angster, excellente recrue. Le constat reste encourageant pour ce troisième volet de concert, après un Finale éclatant, très applaudi : on y passe de peu à côté du mémorable, mais tout réside encore dans ce peu là. Il faudrait à présent que l’orchestre choisisse fermement et collectivement dans quelle cour il a envie de jouer. L’occasion est belle, il faut la saisir, maintenant !



Laurent Barthel

 

 

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