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Massacre scénique Berlin Deutsche Oper 11/13/2016 - et 17, 20, 23, 26*, 29 novembre 2016, 29 janvier, 4 février 2017 Giacomo Meyerbeer : Les Huguenots Patrizia Ciofi*/Siobhan Stagg (Marguerite de Valois), Olesya Golovneva (Valentine), Irene Roberts (Urbain), Juan Diego Flórez*/Yosep Kang (Raoul de Nangis), Marc Barrard (Le comte de Nevers), Derek Welton (Le comte de Saint-Bris), Ante Jerkunica (Marcel), James Kryshak (Tavannes), Robert Watson (Bois-Rosé), Andrew Dickinson/Jörg Schörner* (De Cossé), Alexei Botnarciuc (Thoré, Maurevert), Stephen Bronk/Taiyu Uchiyama* (De Retz), John Carpenter (Méru), Dong-Hwan Lee (Un archer), Adriana Ferfezka, Abigail Levis (Deux jeunes filles), Opernballett der Deutschen Oper
Chor der Deutschen Oper Berlin, Raymond Hugues (préparation), Orchester der Deutschen Oper Berlin, Michele Mariotti (direction musicale)
David Alden (mise en scène), Giles Cadle (décors), Constance Hoffman (costumes), Adam Silverman (lumières), Jörg Königsdorf, Curt A. Roesler (dramaturgie), Marcel Leemann (chorégraphie)
(© Bettina Stöss)
Si les huguenots ont été massacrés lors de la tristement célèbre nuit de la Saint-Barthélemy, Les Huguenots viennent, quant à eux, d’être massacrés à Berlin. Le plus célèbre opéra de Giacomo Meyerbeer a fait l’objet d’une nouvelle production indigne dans la capitale allemande. Après Dinorah en 2014 et Vasco de Gama l’année dernière, le Deutsche Oper Berlin poursuit son cycle Meyerbeer, avec nettement moins de bonheur cette fois. La mise en scène des Huguenots a été malencontreusement confiée à David Alden, qui a donné l’impression de ne pas comprendre grand-chose à l’ouvrage et à son style. Ne déclare-t-il pas dans le programme de salle qu’Andrew Lloyd Weber est le Meyerbeer d’aujourd’hui ? Le résultat est une production grotesque, ridicule et caricaturale, qui s’apparente plus à un spectacle de guignol, à du cabaret, voire à une opérette. Les deux premiers actes sont littéralement défigurés, avec notamment des gags lourdingues, une scène de french cancan avec des danseuses alignées en rang d’oignons et la transformation du célèbre « Oh beau pays de la Touraine » – l’un des airs les plus connus de l’ouvrage – en scène de la folie, avec l’insertion des premières mesures de la cadence de Lucia di Lammermoor. Les trois derniers actes sont moins grossièrement traités : ils se déroulent dans un décor unique évoquant une église, dans laquelle on peine parfois à distinguer les catholiques des protestants. Le massacre de la Saint-Barthélemy est justifié par un texte écrit en gros caractères au-dessus de la scène : Dieu le veut. Le fanatisme religieux, de part et d’autre d’ailleurs, dénoncé par l’ouvrage est ici parfaitement rendu. Mais les deux premiers actes ont tellement gâché les choses qu’il est difficile par la suite de trouver des qualités à cette mise en scène.
Heureusement, on peut fermer les yeux et se concentrer sur la musique et les voix. La musique tout d’abord, avec une version pratiquement sans coupure, d’un peu plus de quatre heures, comprenant les ballets et les chœurs, et servie par l’Orchestre du Deutsche Oper Berlin sous la direction alerte mais nuancée et équilibrée de Michele Mariotti, qui se montre très attentif aux chanteurs. Les voix ensuite, avec une distribution de belle qualité, si ce n’est que le français est souvent malmené. Après avoir abordé Guillaume Tell, Juan Diego Flórez franchit un nouveau pas dans le répertoire dramatique en interprétant Raoul de Nangis. Les deux premiers actes, essentiellement lyriques, lui vont comme un gant. Dans la fin de l’ouvrage, où son rôle se fait plus héroïque, le ténor force l’admiration par sa vaillance, par son timbre coloré et expressif et surtout par ses aigus rayonnants. Patrizia Ciofi incarne une Marguerite de Valois névrotique et rigide, qui, on l’a dit, se prend pour Lucia. Vocalement, le célèbre « Oh beau pays de la Touraine » commence avec prudence et quelques soucis d’intonation, mais l’interprète parvient finalement à surmonter ces difficultés initiales. On se dit que le rôle est aujourd’hui à la limite des possibilités de la chanteuse, qui demeure malgré tout un modèle de technique vocale et d’expressivité. La jeune soprano Olesya Golovneva est une révélation en Valentine, avec son beau timbre ample et lumineux, sa maîtrise de la ligne de chant sur toute la tessiture et surtout sa puissance vocale. Le page Urbain d’Irene Roberts fait également forte impression. On retient aussi le Marcel sombre et sonore d’Ante Jerkunica et le comte de Nevers parfaitement idiomatique de Marc Barrard, seul francophone de la distribution. Une grande soirée musicale et vocale, qui fait oublier le ratage scénique.
Claudio Poloni
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