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A croquer

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Opéra national du Rhin
10/21/2016 -  et 23, 25* octobre, 2, 4, 7 (Strasbourg), 17 (Colmar), 25, 27 (Mulhouse) novembre 2016
Gaetano Donizetti : L’elisir d’amore
Ismael Jordi (Nemorino), Danielle de Niese (Adina), Franco Pomponi (Belcore), Enzo Capuana (Dulcamara), Hanne Roos (Giannetta)
Chœurs de l’Opéra national du Rhin, Orchestre symphonique de Mulhouse, Julia Jones (direction)
Stefano Poda (mise en scène, décors, costumes, lumières, chorégraphie)


(© K. Beck)


Malgré un nombre impressionnant de productions à son actif depuis dix ans, l’homme de théâtre italien Stefano Poda restait absent de nos circuits lyriques hexagonaux. L’Opéra national du Rhin vient de réparer brillamment cet oubli avec un singulier Elisir d’amore, travail assumé sans coproducteur mais qui devrait facilement pouvoir s’exporter ensuite, tant cet objet scénique semble parfaitement bouclé, à la fois original et tout en rondeurs agréables, à l’image de l’énorme pomme posée au milieu du décor.


On ne sait évidemment pas si un tel talent peut se renouveler d’un spectacle à l’autre. A terme l’atelier Poda finit-il par répéter les tics d’écriture, comme bien d’autres, ou au contraire la fantaisie du maître d’œuvre s’exprime-t-elle à chaque fois sur une nouvelle page blanche ? A défaut de pouvoir répondre, on ne peut que se laisser séduire par le charme jamais insistant ni impérieux de cet Elisir, par ce plaisir devenu rare de laisser le théâtre fonctionner comme une merveilleuse boîte à images. Une profusion d’idées qui toutes ne font pas immédiatement sens (après tout pourquoi le devraient-elles ?) mais qui dialoguent, se complètent voire s’antagonisent comme dans une composition surréaliste dont à terme la cohérence paraît peu discutable. Le fait que le maître d’œuvre assume absolument tout (mise en scène, décors, costumes, éclairages voire mouvements chorégraphiques) pourrait appauvrir le propos alors que c’est tout le contraire qui se produit, avec constamment un nouveau détail de costume, un nouvel éclairage, une nouvelle fantaisie dans une attitude ou l’utilisation d’un accessoire qui viennent relancer l’intérêt. Et ceci, point fondamental, sans aucune lourdeur : les idées fusent mais jamais ne pèsent. Et si certaines restent peu déchiffrables, rien n’oblige à s’attarder dessus.


Place donc à un dispositif entièrement végétalisé où la chlorophylle envahit tout, du sol au plafond, jusqu'aux objets et aux chapeaux. Assez peu d’accessoires, et tous incongrus : une célèbre petite voiture populaire d’un autre temps, intégralement recouverte de mousse verte, un volumineux tas d’escarpins rouges à talons aiguilles, la grosse pomme déjà citée, qui peut se fendre en deux pour révéler des alvéoles où on peut ranger des objets divers, beaucoup d’autres petites pommes encore, tantôt vertes, tantôt dorées, tantôt vertes et recouvertes à mesure de peinture rouge par Nemorino... On se situe dans un ailleurs constellé de références (Lewis Carroll, Jérôme Bosch, le jardin d’Eden et le péché originel, le monde actuel de la haute couture et de la mode...) mais surtout un univers qui reste très ouvert, chacun pouvant finalement y projeter sa propre sensibilité. Ce qui n’empêche pas la trame de l’histoire de rester intelligible et les acteurs d’exister vraiment, les traits de personnalité émergeant autant grâce à un jeu très fluide que par l’adéquation parfaite de costumes qui font bien plus qu’habiller, dotés chacun d’un potentiel narratif parfaitement ciblé.


Une production évidente dans sa singularité, à la fois sans histoire et fourmillant d’histoires, et servie par une jolie distribution. On retrouve avec plaisir le Nemorino d’Ismael Jordi, ténor perdu de vue depuis une lointaine production de Falstaff ici-même, il y a déjà 12 ans. Le matériau vocal est resté beau, quelques rugosités et nasalisations par-ci par-là fonctionnant davantage comme des marques de personnalité que comme de véritables défauts. Et la technique paraît sûre, en tout cas remarquablement naturelle, culminant dans un «Una furtiva lagrima» qui sait rester dans un registre intime et sans apprêt. On trouve un peu plus d’artifice et de cabotinage chez Danielle de Niese, avant tout une fine mouche de comédie à la voix un peu fluette, mais qui dessine son personnage avec acuité. On apprécierait un peu plus d’émotion à la fin, ce qui reste difficile avec des moyens aussi légers, encore que remarquablement intacts en dépit d’une annonce d’indisposition faite en début de soirée. Enzo Capuana est bien la basse bouffe joviale et usée aux entournures que l’on attend dans Dulcamara, et Hanne Roos est parfaite dans le rôle très court mais pas négligeable de Giannetta. En revanche on espérait mieux de Franco Pomponi, Belcore un peu frêle en prestance, du moins vocalement.


En fosse Julia Jones se retrouve face à un Orchestre symphonique de Mulhouse toujours turbulent, dont il faut canaliser le volume sonore et les raideurs. Un résultat finalement obtenu, même si cela prend du temps. A mesure que la soirée avance le discours s’anoblit, respire mieux et parvient même à fonctionner en bonne coordination avec le plateau. Ce qui peut nécessiter parfois beaucoup d’à-propos et de sens de l’adaptation immédiate, mais ce sont là des qualités que Julia Jones semble parfaitement posséder.



Laurent Barthel

 

 

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