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Credo esthétique Strasbourg Palais de la Musique et des Congrès 10/06/2016 - et 7 octobre 2016 Pēteris Vasks : Credo
Gustav Mahler : Rückert-Lieder
Dimitri Chostakovitch : Symphonie n° 5 en ré mineur, opus 47 Hanno Müller-Brachmann (baryton)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Marko Letonja (direction)
P. Vasks (© Matīss Markovskis)
Après Kaija Saariaho, Philippe Manoury et John Corigliano, c’est au tour de l’Estonien Pēteris Vasks de devenir pour un an compositeur en résidence de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg. Autant de choix dont on ne peut contester l’éclectisme, et de belles occasions de découvrir le polymorphisme de l’imagination de nos compositeurs d’aujourd’hui, avec souvent matière à surprises, voire à débat.
Au delà d’un réel battage discographique, il est difficile de cerner la personnalité de Pēteris Vasks, compositeur chez lequel l’humanisme semble de prime abord l’emporter sur l’inspiration. Ses œuvres cultivent de grands espaces de pureté, bouffées d’oxygène brièvement accordées à notre humanité souffrante, en guise d’antidote à la violence de notre monde difficile. Que ces pièces tablent pour cela surtout sur des consonances confortables n’a rien d’étonnant, même si l’on a découvert au cours du siècle dernier qu’il y a encore bien d’autres moyens d’évoquer l’immanence de la nature en musique, et bien plus originaux.
Commande créée par l’Orchestre philharmonique de Brême en 2009, Credo est une pièce d’orchestre de 20 minutes somptueusement écrite, qui peut constituer une belle entrée en matière pour une saison symphonique. Sous la direction de Marko Letonja, on admire tous les rouages de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, en très bonne forme, au cours d’une succession de morceaux de bravoure subtilement enchaînés. Le miracle de cette musique, ou du moins sa qualité la plus évidente, est d’éviter soigneusement l’ornière hollywoodienne dans laquelle ses ingrédients menacent pourtant continuellement de la faire tomber. En ce sens le résultat est fort, de même que l’art avec lequel le compositeur sait changer tout à coup d’atmosphère, transitions fondées surtout sur l’opposition entre un tutti très chargé et la zone d’ombre, de quasi-silence, qui le suit immédiatement (un stratagème à double tranchant : ce soir-là le public, piégé, commence à applaudir beaucoup trop tôt après un climax particulièrement bien sonnant, mais qui n’est en rien conclusif...). Au-delà de querelles esthétiques qui n’ont de toute façon plus de raison d’être, ces vingt minutes de beauté sont à apprécier en tant que telles : un espace de détente et de méditation, paisiblement refermé ensuite, et dont le contenu même reste facile à oublier.
Cette entrée en matière constitue aussi un conditionnement favorable pour aborder ensuite avec une meilleure attention l’intimisme des Rückert-Lieder de Mahler, recueil à géométrie variable, donné ici dans son intégralité, avec la plage sereine d’«Ich bin der Welt abhanden gekommen» en guise de conclusion. Les moyens vocaux du baryton allemand Hanno Müller-Bachmann ne changent pas, avec toujours une certaine rugosité caverneuse du medium qui rend difficile la perception des hauteurs (on est alors proche du parlando) mais aussi de très beaux graves et un attachant investissement poétique dans l’élocution. L’orchestre rend quant à lui bien justice à la transparence d’une écriture qui laisse toujours astucieusement la voix à découvert, même dans les moments en apparence les plus chargés.
Lourde seconde partie avec la Cinquième Symphonie de Chostakovitch, toujours un beau challenge symphonique même s’il ne s’agit pas, pour notre goût du moins, de l’œuvre la plus attachante du compositeur, l’inspiration y semblant trop souvent bridée par le joug d’une censure stalinienne dont on ressent l’omniprésence. Marko Letonja aborde ce monument avec une volonté narrative et un sens de la théâtralisation très mahlériens, ce qui n’est certainement pas un contresens mais constitue une approche plus ouvertement « occidentale » que russe (la comparaison avec la lecture actuelle d’un Valery Gergiev, beaucoup plus cursive voire sèche, est assez éloquente). L’Orchestre philharmonique de Strasbourg possède la capacité technique de briller dans une telle approche, qui fait la part belle à un certain luxe orchestral au premier degré. Reste parfois à finaliser mieux certains enchaînements, où il paraît encore difficile de maintenir une tension constante, notamment dans les longues tenues de cordes du Moderato initial. Le climat obtenu dans le Largo, certainement la clé de l’œuvre, est très convaincant. En revanche l’Allegro final, délibérément lourd, joue peut-être trop au premier degré la carte de la dérision, mais cette option reste défendable et permet de conclure ce concert de façon spectaculaire.
Laurent Barthel
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