About us / Contact

The Classical Music Network

Baden-Baden

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Schumann vu de l'autre côté des Alpes

Baden-Baden
Festspielhaus
09/30/2016 -  et 22 (Verona), 25 (Dortmund), 26 (Luxembourg), 28 (Hamburg), 29 (Köln) septembre 2016
Robert Schumann : Manfred, opus 115: Ouverture – Concerto pour piano en la mineur, opus 54 – Symphonie n° 2 en ut majeur, opus 61
Daniil Trifonov (piano)
Filarmonica della Scala, Riccardo Chailly (direction)


R. Chailly, D. Trifonov (© manolo press)


L’Orchestre de la Scala, dirigé par son maestro assoluto du moment ? Assurément oui, si c’est en fosse à Milan, dans un grand Verdi ou Puccini. Pour une tournée, dans un grand répertoire germanique qui lui reste fondamentalement étranger, ce sera peut-être en revanche un oui, mais !


Ce problème se pose en fait chaque fois qu’un chef italien de grande envergure et plutôt en fin de carrière se retrouve bien installé à la la tête des musiciens de la Scala : l’envie de retourner à Beethoven, Mahler ou Schumann finit toujours par se concrétiser. Des programmes congénitalement difficiles, mais aussi des chefs d’un tel charisme qu’il finit toujours par en sortir quelque chose de stimulant. Ce fut le cas dans les années 1985-1995 avec des Brahms et des Mahler dirigés par Carlo Maria Giulini, certes imparfaits et pourtant ô combien inoubliables. Et apparemment ce devrait être aussi le cas au cours du mandat de Riccardo Chailly. Du moins si l’on en juge par ce programme Schumann : en rien un grande démonstration d’orchestre et pourtant une aventure fascinante, par sa musicalité de tous les instants.


Dès le début de ce concert, d’une découpe des plus classiques, l’Ouverture de Manfred surexpose des inadéquations : une sonorité d’ensemble légère et claire, des cordes qui privilégient l’individualisme à l’homogénéité, des bois qui manquent de corps. Vraiment pas de quoi remuer des tréfonds romantiques, et pourtant ce Schumann-là fonctionne, essentiellement grâce aux efforts d’un chef qui fait tout pour relancer l’intérêt, avec un sens aigu des ponctuations et des écarts de dynamique. Si ce n’est que certains accents, trop vitaminés pour cette ambiance qui devrait rester essentiellement sombre, évoquent irrésistiblement... l’opéra italien ! Mais après tout, cette Ouverture de Manfred ne date-t-elle pas de 1851, qui est aussi l’année de création de Rigoletto ?


Pour le Concerto pour piano se superposent encore d’autres particularismes, ceux d’un soliste supérieurement doué mais imprévisible. Toujours aussi jeune et fougueux d’apparence, encore que moins recourbé sur son clavier qu’auparavant, et le visage maintenant banalisé par une barbe qui en masque les contours anguleux, Daniil Trifonov traverse ce concerto comme dans un état d’improvisation ludique permanent. La première série d’accords, périlleuse pourtant, n’est même pas préparée : les doigts s’abattent tout à coup sur le clavier en partant de très loin, pour un résultat certes juste mais quand même très sec. Après ce départ pétaradant, et le beau climat d’introduction ménagé par Riccardo Chailly, le piano s’évade voire s’alanguit, comme s’il s’agissait de parcourir un poème musical davantage qu’un concerto. Un Allegro certes affettuoso, mais où l’affect l’emporte souvent sur l’allant, ce qui ne facilite pas la tâche du chef, heureusement aux aguets. Difficile d’y retrouver tous ses repères habituels, et encore davantage dans un final qui délaisse la virtuosité pure pour s’accorder beaucoup de respirations larges. On peut en ressortir déçu, après avoir attendu peut-être autre chose, ou au contraire ébloui par l’intelligence avec laquelle ces deux génies musicaux, l’un au clavier, l’autre au pupitre, s’épient, se jaugent, s’attendent, se retrouvent... Presque un pas de deux chorégraphique où tout à coup l’envol d’un porté extraordinaire ou la convergence subite de deux attitudes vont produire des effets électrisants, au risque des quelques passages de récupération moins passionnants qui peuvent immédiatement suivre ou précéder ces exploits.


Bis russe, pour un pianiste qui retrouve là plus naturellement ses racines : le Prélude et Fugue en ré majeur de Chostakovitch, faussement simple, joué à la fois avec une belle ampleur et une tenue technique impeccable, depuis les arpèges minutieusement serrés du début (et en même temps pas trop serrés : du grand art) jusqu’au tourbillon contrapuntique conclusif.


Pour l'Orchestre de la Scala, s’attaquer en seconde partie à la moins évidente des symphonies de Schumann, est encore un autre pari. Car les innombrables richesse de cette turbulente et parfois bien gauche Deuxième, ne se dévoilent qu’en payant le prix fort. Courir après des lambeaux de phrases qui passent sans logique apparente d’un pupitre à l’autre, anticiper en permanence le poids et le dosage des sonorités, afin de gommer de vraies et lourdes fautes d’orchestration : tous ces objectifs, manifestement, Riccardo Chailly les a dans la tête avec une clarté et une précision parfaites. Mais tout au long de l’exécution on reste surtout admiratif de l’ascendant avec lequel il communique cette science à l’orchestre. Rien de ce qu’on entend n’est peut-être ni luxueux ni facile, mais le discours avance sans aucune faille de construction. Et que ce soit exclusivement parce que sur le podium opère pendant presque 40 minutes une présence totalement impérieuse, sans laquelle tout se déliterait dans une banalité tristement bruyante, incite au respect. Au-delà des nécessaires compétences techniques, la direction d’orchestre à un degré supérieur est aussi faite de passionnants mystères, des alchimies que l’on appréhende ici avec une acuité particulière.


Pour le bis conclusif, les cymbales et la grosse caisse qui ont attendu silencieusement pendant tout le concert qu’on veuille bien s’intéresser à elles, retrouvent enfin leur voix. Pour une ouverture de Rossini ou de Verdi, sans doute? Eh bien non : il s’agit de Fast Blues du compositeur italien contemporain Carlo Boccadoro, un pandémonium jazzy astucieusement déhanché et cuivré. La chose, en définitive plutôt subtile malgré ses atours malicieusement bruyants, prend d’abord le public au dépourvu, avant de remporter un très vif succès.



Laurent Barthel

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com