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Utopie et bonnes intentions

Strasbourg
Cité de la Musique et de la Danse
09/24/2016 -  et 25* septembre 2016
Ahmed Essyad : Mririda
Francesca Sorteni (Mririda), Louise Pingeot (La jeune fille), Coline Dutilleul (La Vieille Femme), Diego Godoy (Le Mercenaire), Camille Tresmontant (L’Etranger), Antoine Foulon (L’Officier)
Chœur de l’Opéra national du Rhin, Ensemble orchestral de l’Académie supérieure de musique-HEAR et du Conservatoire de Strasbourg, Léo Warynski (direction musicale)
Olivier Achard (mise en scène), Julien Laurenceau (décor, vidéo), Pascal Rechtenstein (lumières)


(© Alain Kaiser)


Combiner culture et projet social est une utopie tentante, et pour cette éphémère Mririda strasbourgeoise quelques idées au départ très dispersées ont même pu prendre une forme relativement aboutie. Hétérogène, le melting-pot initial l’était pourtant beaucoup : un quartier défavorisé, un groupe de réflexion voire un atelier d’écriture autour des violences faites aux femmes, l’idée que cela puisse déboucher à terme sur une forme aussi sophistiquée qu’un opéra de chambre, et ensuite la participation nécessaire des institutionnels, la ville de Strasbourg, le Conservatoire et ses classes de musique et théâtre, le Festival Musica, l’Opéra national du Rhin... En toute logique un projet aussi ouvert aurait dû rester coincé quelque part et ne jamais aboutir. Et pourtant, même modeste, pour deux représentations seulement dans une salle de dimensions réduites, et avec des moyens financiers que l’on suppose accordés au compte-gouttes, cette « création mondiale » a pu bel et bien exister. Chapeau bas !


Qu’une personnalité aussi déterminée que le compositeur Ahmed Essyad se soit laissé tenter par l’aventure ne nous surprend pas. Sans son optimisme à toute épreuve et sa caution artistique, gageons même qu’on en serait resté à des déclarations d’intention. Mais seulement voilà, il y a chez cette homme une foi qui déplacerait des montagnes, des convictions qui font passer en force les cocktails les plus originaux, brassages inhabituels voire d’apparence incongrue, inspirations mélangées où le voisinage de l’écrit et de l’oral, de l’intellectuel et de l’enracinement populaire, conduisent à des résultats pourtant impeccablement construits voire exigeants. Aucune facilité n’est tolérée, et pas même le confort des formats pré-établis, Essyad, bien que d’école lointainement post-schoenbergienne se proclamant lui-même totalement étranger aux combinatoires abstraites ou simplement inutilement contraignantes. Vraiment un singulier personnage, et aussi un musicien rare, même si dans le paysage de notre création contemporaine officielle, avec déjà plusieurs opéras créés sur nos scènes françaises, on a déjà pu le croiser à plusieurs reprises.


Qu’on ne nous en veuille pas de nous attarder davantage sur cette Mririda en tant qu’œuvre que sur une production à plus d’un égard décevante. L’équipe réunie autour d’Olivier Achard a manqué manifestement de tout : de temps, d’argent, de moyens techniques, mais aussi sans doute, même si on pourra toujours en discuter, de compétence et d’imagination. La caution apportée par l’Opéra national du Rhin imposait d’essayer de jouer dans la cour des grands, au lieu d’en rester à ce niveau de théâtre amateur de bon niveau. Finalement, avoir voulu insuffler trop de respectabilité dans ce projet a sans doute été lui rendre un très mauvais service. A partir de quelques rideaux blancs supports de projections on pouvait inventer tout un monde, mais on ne nous propose qu’une sorte de graffiti scénique naïf et une stylisation forcée des attitudes, faute d’avoir eu le temps d’apprendre à mieux bouger. Qu’une utopie aussi riche en promesses ait pu acquérir au moins cette forme malhabile reste émouvant, mais ce n’est pas suffisant.


Le livret signé par Claudine Galéa peut susciter aussi quelques réserves, mais au moins sa recherche d’un parler « rêche » n’est-elle pas exclusive d’une sincérité qui fait bien passer ces scories (nécessaires ?). On s’intéresse toutefois davantage au destin de ce village marocain finalement rayé de la carte par l’absurdité d’un conflit armé, et à l’opiniâtreté de quelques attachants rôles de femmes qui essayent chacune à leur manière d’imposer leur voix, rarement écoutée, qu’au personnage même de Mririda, mythe de femme libérée et poétesse du Haut-Atlas, qui paraît un peu plaqué sur le propos.


Sans la musique d’Ahmed Essyad tout cela resterait sans doute anecdotique, mais justement il y a dans cette partition une réelle originalité dans la conduite d’un parlé/chanté très fluide, une intensité dans les climax d’écriture orchestrale et une pertinence dans les interventions chorales qui élèvent vraiment le débat. De surcroît la représentation est bien défendue, par un belle équipe de jeunes chanteurs de l’Opéra Sudio de l’Opéra national du Rhin, le plus souvent remarquablement intelligibles en français et tous dotés de timbres intéressants, et aussi en fosse par un ensemble de jeunes musiciens sous la direction énergique de Léo Warinsky. Dommage que le Chœur de l’Opéra du Rhin, très affairé par une partition difficile, reste lui aussi en coulisses ou en fosse, alors qu’il aurait pu constituer une masse plus agissante dans le spectacle.


A tous égards cet opéra riche de 75 minutes d’une musique dense sort du lot commun. Reste maintenant à lui accorder les moyens scéniques qu’il mérite, pour exister en tant qu’ouvrage lyrique à part entière.



Laurent Barthel

 

 

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