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2 orchestres moins 1 = ?

Freiburg
Konzerthaus
09/24/2016 -  et 22, 23 septembre 2016 (Stuttgart)
Kaija Saariaho : Cinq Reflets de L’Amour de loin
Gustav Mahler : Symphonie n° 10 (Adagio)
Peter Eötvös :  DoReMi (Concerto pour violon n° 2)
Béla Bartók : A csodálatos mandarin (Suite), opus 19, sz. 73

Pia Freund (soprano), Russell Braun (baryton), Patricia Kopatchinskaja (violon)
SWR Symphonieorchester, Peter Eötvös (direction)


(© Wolfram Lamparter)


Décision irrévocable ? Après soixante-dix années d’existence, les orchestres du SWR de Stuttgart et du SWR de Baden-Baden et Fribourg ne sont plus qu’un souvenir (voir ici). Vive dorénavant l’unique Orchestre symphonique du SWR, fusion des deux phalanges précédentes, dont le siège s’établira désormais à Stuttgart. Tout a été rêvé en flambant neuf pour cette « nouvelle » formation, comme issue d’un fantasme providentiel de tabula rasa : un nouveau directeur pour les orientations artistiques, un nouveau manager pour tout ce qui concerne l’intendance, un nouveau service de presse, un nouveau site internet dédié incluant les prémisses d’un "Digital concert hall" , etc., etc.


Voilà pour la communication, au demeurant puissante, qui tente de faire oublier les nombreuses années de frustrations et de conflits vécues par tous les acteurs et témoins de ce processus de fusion, et ceci jusqu’aux douloureux concerts d’adieux de la fin de saison dernière. A présent nous voilà tous fermement priés de tourner la page. Une poignée de décideurs gestionnaires espèrent gratter à terme quelques millions sur le budget global de leur radio et dès lors reste seule possible cette fuite en avant, pour les musiciens des deux phalanges sinistrées mais aussi pour leurs publics respectifs. Rien à regretter, tout à espérer !


A défaut de se résigner, on allait au moins écouter ce « nouvel » orchestre du SWR avec certains espoirs. Un beau programme, un chef d’envergure (dont la présence ici, après des prises de position pourtant répétées et virulentes contre cette fusion d’orchestres, atteste quand même d’une ambiance de capitulation difficile à oublier), des musiciens réputés pour leur professionnalisme... de quoi, peut-être, aider certaines plaies à cicatriser.


Ambiance fébrile, donc, au Konzerthaus de Fribourg, du moins du côté de la nouvelle équipe dirigeante, après les deux concerts donnés à Stuttgart les soirs précédents. La naissance d’un nouvel orchestre, ce n’est certes pas rien ! Et puis, en même temps, retrouver là 50 % des membres de l’ancien Orchestre du SWR de Baden-Baden et Fribourg nous est annoncé comme une sorte de lot de consolation, un rien de confort sentimental qui pourrait séduire les nostalgiques... Effectivement, quand les musiciens prennent place sur l’estrade, on s’aperçoit d’une assez bonne équité de répartition, en particulier pour les cordes : deux musiciens de Fribourg, deux de Stuttgart, à nouveau deux de Fribourg, comme si l’on avait réorganisé chaque pupitre en strates alternées, sur le principe de la tranche napolitaine. En revanche Stuttgart prédomine nettement du côté de la petite harmonie, l’ex-basson solo fribourgeois Eckart Hübner se retrouvant quelque peu esseulé au milieu.


Les Cinq reflets de L’Amour de loin de Kaija Saariaho sont peu propices pour une première impression. Pupitres divisés, notes tenues en valeurs longues, ambiance douillette et poétiquement confuse, tout cela peut s’accommoder d’imprécisions voire d’une certaine mollesse. Pourtant, dès les premiers accords, le son inquiète : non contrôlé, trop fort, sans hiérarchies entre les pupitres, un magma bien davantage qu’un flux dynamique, encore qu’il soit difficile d’en dire plus. Du côté des deux solistes, Russell Braun se débrouille bien d’une prosodie française souvent fautive, en revanche Pia Freund, déjà à la peine quand elle participait aux premières exécutions de l’ouvrage (voir ici), bataille désormais aussi laborieusement avec une tessiture escarpée qu’avec notre langue, ses ululements nous paraissant difficilement assimilables au chant d’un personnage d’enluminure médiévale.


Avec l’Adagio de la Dixième Symphonie de Mahler, le « nouvel » orchestre aborde des zones plus exposées. Et le résultat se situe à un niveau de médiocrité que l’on pensait impossible de la part de tels musiciens. Les cordes ont perdu leur transparence, sans sonorité définissable ni contrôle de la dynamique, les équilibres entre cordes et vents semblent réduits à une banale coexistence, comme si personne ne s’écoutait vraiment d’un pupitre à l’autre. Seules les entrées des cuivres, plutôt sûres et homogènes, parviennent par moments à redonner une certaine allure à l’ensemble. Jamais ce sublime mouvement mahlérien ne nous aura paru distiller un tel ennui, indifférence que la gestique à mains nues de Peter Eötvös ne fait rien pour dissiper. L’accueil du public, perceptiblement tiède, est à la mesure de la perplexité ambiante.


Changement momentané de climat après l’entracte. Patricia Kopatchinkaja, lutin facétieux du violon, met tout le monde dans sa poche à force d’engagement physique, comme si chaque trait de sa partie devenait un univers à investir émotionnellement jusqu’à la plus infime note. Son interprétation du Concerto pour violon DoReMi de Peter Eötvös est un trépidant numéro de Musiktheater, qui convient parfaitement à l’esprit démonstratif de cette pièce. Une performance très au point sous ses allures d’improvisation, et qui réussit à préserver la beauté des sonorités malgré la brutalité apparente de certains coups d’archet voire des soubresauts qui agitent l’ensemble de cette petite silhouette. Entraînés dans l’élan musical les pieds de la soliste frappent souvent le podium, ce qui pourrait devenir bruyant et gênant si elle portait des chaussures. Mais très opportunément… elle joue pieds nus ! A tous égards un phénomène, salué par l’ovation d’un public soudain réveillé de sa torpeur.


Après l’Adagio de Mahler, l’autre pièce de démonstration d’orchestre laisse tout aussi atterré : une Suite du Mandarin merveilleux de Bartók opaque, prisonnière d’une gangue cimentée dont le seul point notable est un déluge continu de décibels. Dès l’introduction le chahut est total, à peine moins chaotique qu’un concert de klaxons dans un embouteillage. Qu’un bartokien de la trempe de Peter Eötvös puisse cautionner ce vacarme en dit long sur les impératifs diplomatiques du moment. Mais même quand l’atmosphère s’apaise, l’esprit n’y est pas, y compris dans les interventions d’un clarinettiste soliste trop neutre, au timbre pas du tout en situation. Final à nouveau tonitruant, sur des appuis rythmiques bétonnés. Devoir essuyer une telle balourdise dans ce Konzerthaus où pendant vingt ans les subtiles prestations de l’Orchestre du SWR de Baden-Baden et Fribourg ont été façonnées sans relâche par des chefs de l’envergure d’un Michael Gielen ou d’un Hans Zender est vraiment une expérience douloureuse.


Essuyage de plâtres, certes, mais la situation est-elle vraiment susceptible de s’améliorer ? Aucun directeur musical permanent n’étant annoncé, l’orchestre va devoir se contenter pour l’instant de visites de chefs invités dont on doute qu’ils puissent parvenir, en quelques répétitions seulement, à améliorer une culture sonore aussi hétéroclite. Et puis rappelons aussi que du fait même du principe de mélange de deux orchestres complets, il y a pour l’instant presque 175 musiciens à faire tourner dans l’effectif (alors que l’on n’en a écouté ensemble que 90 ce soir !), ce qui rend aléatoire tout travail de fond, la physionomie de la phalange pouvant varier énormément d’un concert à l’autre.


Est-il dès lors raisonnable de tabler sur d’hypothétiques possibilités d’amélioration au cours des prochaines années, du moins si l'on en reste à ce principe de fusion arbitraire ? En tout cas, pour l’instant cet orchestre ne paraît ni présentable à l’enregistrement, ni décemment exportable en tournée, ni même concurrentiel dans les salles de Stuttgart et de Fribourg. Plus vraisemblablement, l’émetteur du SWR est en train de carboniser sa vitrine musicale pour une bonne décennie. Un désastre aussi stupide que durable, qu’aucun buzz internet, même bruyamment organisé, ne parviendra longtemps à masquer.



Laurent Barthel

 

 

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