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Entre sifflements des usines et folie d’un roi

Paris
Philharmonie 2
05/27/2016 -  
Michael Jarrell : Adtende, ubi albescit veritas
Wolfgang Rihm : Die Stücke des Sängers
David Hudry : The Forgotten City (création)
Peter Maxwell Davies : Eight Songs for a Mad King

Georg Nigl (baryton), Frédérique Cambreling (harpe)
Ensemble intercontemporain, Gregor A. Mayrhofer (direction)


G. A. Mayrhofer (© Susanne Diesner)


Pablo Heras-Casado ayant été contraint d’annuler sa participation, c’est le jeune – et plus que prometteur – chef assistant de l’Ensemble intercontemporain, Gregor A. Mayrhofer, qui pilotait ce concert où l’hommage rendu à feu Peter Maxwell Davies était précédé, entre autres, d’une création signée David Hudry.


C’est l’actuel directeur musical de l’EIC, Matthias Pintscher, qui est à l’origine de l’œuvre de Michael Jarrell (né en 1948). Adtende, ubi albescit veritas (2013) s’inscrit en effet dans le cadre du projet «Beyond Recall», lequel s’attachait «à faire réagir, en musique, douze compositeurs de douze nationalités différentes à des œuvres d’artistes visuels de leur temps». Le Suisse a porté son dévolu sur une sculpture de Christian Boltanski, à laquelle il associe des extraits (en latin) des Confessions de saint Augustin consacrés à la mesure du temps. Grave et solennel, le baryon (l’excellent Georg Nigl) soliloque au sein d’un espace instrumental aux sonorités sombres et graveleuses. Après un début in medias res, comme si l’on cueillait la musique au cœur dramatique de son développement, Jarrell, sans doute en écho à la phrase «c’est en toi, mon esprit, que je mesure le temps», polarise l’effectif sur une seule note avant de refermer sa pièce de manière apaisée.


Wolfgang Rihm (né en 1952) s’appuie quant à lui sur l’écrivain Heiner Müller dans Les Morceaux de la chanteuse pour harpe et ensemble, créé in loco en 2001 par Pierre Boulez et la même Frédérique Cambreling. A l’instar de l’œuvre de Jarrell, le bas du registre (clarinette contrebasse, contrebasson, tuba contrebasse) est particulièrement sollicité dans cet avatar du mythe d’Orphée où la harpe apparaît tel un miroir déformé de la lyre du poète. On y perçoit un jeu sur les résonances, souvent contrariées (cymbales frottées avec un archet, ou frappées et aussitôt étouffées). «Au terme de ce qui semble un véritable parcours initiatique», la cadence voit l’instrument soliste dialoguer avec le piano et les percussions dans des sphères plus lumineuses.


The Forgotten City, la création de David Hudry (né en 1978) s’employant à raviver le souvenir des villes industrielles abandonnées des Etats-Unis, aimante les discussions à l’entracte: les thuriféraires vantent la polyrythmie comme l’incarnation réussie de l’activité sonore des usines; les contempteurs ne cachent pas leur soulagement une fois la pièce terminée tant ce fracas percussif fut éprouvant pour les tympans. Il y a du vrai dans les deux camps. Si le sujet n’est pas sans rappeler Prokofiev (celui, futuriste, du Pas d’acier) et Mossolov, c’est surtout les Amériques de Varèse qu’évoquent telle apostrophe du basson, telle superposition rythmique, et cette scansion de marche inexorable qui conduira la pièce à son apogée. En définitive une musique du geste et du timbre, même si David Hudry affirme ne pas «renoncer à la ligne mélodique». Les musiciens de l’EIC, très applaudis, y ont fait preuve d’une redoutable efficacité.


Le plus jubilatoire nous attendait avec les fameuses Eight Songs for a Mad King (1968) de Peter Maxwell Davies (1934-2016), chef-d’œuvre dont l’impact repose certes beaucoup sur le charisme du chanteur. Egalement à l’initiative de la mise en espace, Georg Nigl a livré une sensationnelle performance. A l’intérêt porté au théâtre musical et à la voix, que l’on retrouve à la même époque chez ses contemporains Berio (Laborintus II, 1965), Ligeti (Aventures, Nouvelles Aventures, 1962 et 1966) ou Henze (le trop méconnu Versuch über Schweine, 1968), Maxwell Davies convoque, avec un humour typiquement anglais, la figure de George III à travers un cycle de huit chansons qui donne à voir et à entendre la folie. Attifé d’une chemise de nuit, soumettant son corps à toutes les contorsions, jouant d’une couronne puis d’un haut-parleur, fracassant un violon contre son trône (chez le Ligeti des Nouvelles Aventures, on brise de la vaisselle...), le roi s’abandonne à ses délires avant de sombrer définitivement dans la folie en prononçant sa propre mort. Si la partition indique «baryton», cris, murmures et vociférations sont sollicités sur une tessiture très étendue. Fin saisissante: Sa (pitoyable) Majesté s’achemine vers son supplice sous les battements imperturbables du tambour, qui scellent également le glas de la monarchie.


C’est pourtant à la très respectable charge de Maître de musique de la reine que le compositeur britannique, on s’en souvient, termina sa brillante carrière.



Jérémie Bigorie

 

 

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