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Belle et courageuse solution

Madrid
Teatro Real
04/02/2016 -  et 6, 9, 12, 15*, 18, 21, 24, 27, 30 avril 2016
Richard Wagner: Parsifal
Detlef Roth (Amfortas), Ante Jerkunica (Titurel), Franz-Josef Selig (Gurnemanz), Christian Elsner (Parsifal), Evgeny Nikitin (Klingsor), Anja Kampe (Kundry), Vicente Esteve, David Sánchez (Chevaliers du Graal), Ilona Krzywicka, Khatouna Gadelia, Kai Rüütel, Samantha Crawford, Ana Puche, Rose Aldridge (Filles-fleurs)
Coro Titular del Teatro Real (Coro Intermezzo), Andrés Máspero (chef de chœur), Orquesta Titular del Teatro Real (Orquesta Sinfónica de Madrid), Semyon Bychkov/Paul Weigold* (direction)
Claus Guth (mise en scène), Christian Schmidt (décors et costumes), Jürgen Hoffmann (lumières), Volker Michl (chorégraphie), Andi A. Müller (vidéo)


A. Kampe, C. Elsner, F.-J. Selig (© Javier del Real/Teatro Real)


Ce n’est pas maintenant qu’on va découvrir Parsifal, un des opéras les plus beaux de tous les temps. Et pas même la mise en scène de Claus Guth, déjà assez connue avant qu’elle ne débarque à Madrid, puisqu’il s’agit d’une coproduction de l’Opéra de Zurich et du Gran Teatre del Liceu de Barcelone. Quelques points importants doivent cependant être abordés.


Claus Guth, avec un espace scénique mobile surprenant de Christian Schmidt – hôtel, hôpital, maison de repos, caserne, grand chalet très fissuré, nécessitant des réparations urgentes et fréquenté par une clientèle de soldats traumatisés dans leur corps et leur âme par les champs de bataille de la Grande Guerre –, a refusé l’un des aspects marquants de cet opéra depuis le début de son histoire: son hiératisme. Sans aller à l’extrême opposé des conceptions très mobiles qui sont, en même temps, de fascinantes et belles contradictions par rapport au texte et au contexte, à la lettre et à l’esprit: le cas de Herheim, par exemple, une beauté polémique. A bien des égards, la vision de Guth se situe à l’opposé.


Le hiératisme n’est pas une qualité obligatoire: Guth rend incroyablement alertes de longs moments comme le monologue de Gurnemanz ou le parcours, témoignage du jeune Parsifal contemplant la blessure des gardiens et celle d’Amfortas, en silence, tout immobile, mais ici, en revanche, témoin inquiet, de chambre en chambre, d’escalier en donjon, recueillant toutes les émotions, toutes les données le menant vers son aventure de rédemption. Est-ce un chemin d’initiation, de perfection... un «guide des perplexes»? D’aucuns préféreront d’autres concepts: la «prise de conscience du jeune pur» et sa conséquence logique, l’«engagement». En tout cas, c’est une façon très théâtrale de résoudre «le silence de Parsifal», pendant sa longue observation du dernier tiers de l’acte I où il ne chante pas, mais doit regarder et écouter tout le temps. Guth le fait regarder, mais aussi marcher, entrer dans toutes les chambres, monter des escaliers, suivre Titurel, malade – affecté, lui, par de sérieux problèmes de mobilité – mais pas absent, pas «voix off».


Les cérémonies des chevaliers – s’ils peuvent être désignés de la sorte, car ils sont en grande partie malades, infirmes – sont réduites à leur juste proportion, et la maison qui tourne permet de réduire l’immobilisme et de motiver de façon différente et plus alerte les actions, les situations, plus spécialement le développement de la sensibilité des personnages – on ne peut en effet guère parler ici de psychologie; il vaut peut-être mieux dire «sensibilité». On ne verra pas souvent une évolution aussi claire des motivations du jeune héros pour son aventure avec les gardiens du Graal, de l’ennemi juré Klingsor, du personnage polyvalent et riche de Kundry, de l’utilisation de la mythologie chrétienne, et d’autre religions, même de la chasteté, par un grand artiste qui n’était ni chrétien ni chaste. Du reste, il n’y a plus rien de l’éventuel modèle du moine-guerrier, de l’Ordre du Temple ou de l’Hôpital: l’approche de Guth, on l’a vu, est ailleurs. C’est une manière très aiguë de se placer face au thème wagnérien par excellence (plus que l’amour, la rédemption, etc.): un étranger d’origine obscure, inconnu, humble parfois, arrive dans une société fermée, ou presque, autosatisfaite ou en crise cachée... et il met tout sens dessus dessous. Avec Parsifal, les choses sont un peu différentes: c’est lui qui est bouleversé par la souffrance des chevaliers, de son mystagogue Gurnemanz, des grands capitaines de la place, Amfortas et son père Titurel – on voit que la chasteté n’est pas absolue, dans la mesure où l’on a des enfants et Lohengrin nous avait avertis longtemps avant que son père était Parsifal. L’équilibre musical à l’égard du chromatisme de Tristan et Isolde et du diatonisme presque vainqueur des Maîtres chanteurs (sans compter les ensembles) est le grand atout sonore de Parsifal. Mais on peut expliquer toutes les grammaires, toutes les habiletés, tout le métier du maître: Parsifal a quelque chose de grand, de pénétrant (un opéra plus pénétrant que profond, plus sensation qu’explication) au-delà de la lettre, du texte, de la partition, et surtout au-delà des mythes utilisés. Utilisés, certainement, mais pas acceptés par un converti.


Incidemment: encore une fois, je ne vois nulle part l’antisémitisme de Parsifal, opéra dont la première à Bayreuth a été dirigée par un musicien juif, fils de rabbin et jamais converti, Hermann Levi. Kundry, soumise à la loi du karma, aux avatars, provenant d’une religion comme le bouddhisme, beaucoup plus à l’est (Wagner avait envisagé de centrer son denier opéra sur de telles croyances), est «errante» dans ce sens-là. Elle n’est pas errante, donc juive; baptisée, donc sauvée de la religion juive (ces commentaires-là étaient peut-être trop influencés par un feuilleton de la presse française d’antan, signé Eugène Sue). Où avez-vous vu tout cela, si le librettiste-compositeur ne croyait pas le moindre mot du baptême? Mais en même temps – et il avait raison – il considérait que le christianisme ou les autres religions avaient de trop belles histoires, de trop beaux mythes pour en abandonner l’exclusive aux clercs chrétiens de tout genre. Si la religion m’a imposé la narration, l’image et la peur, pourrait-on dire, je lui rends volontiers la peur et je garde l’image et le conte pour inverser les rôles.


Une belle distribution où les trois grands «blessés» – Christian Elsner en Parsifal, Detlef Roth en Amfortas et Franz-Josef Selig en Gurnemanz – ont montré leurs grandes capacités vocale et dramatique. Tout comme les deux «maudits», Anja Kampe en Kundry et Evgeny Nikitin en Klingsor. On nous a avertis que Kampe (Eva, Isolde, Elsa, Sieglinde, Freia) était souffrante mais qu’elle chantait quand même: étonnamment, elle a incarné une Kundry pleine de tension, une soprano plutôt dramatique, ici au moins, sans les difficultés habituelles dans les aigus, et même plutôt le contraire, de ce rôle, parfois diabolique. Nikitin a dessiné un méchant parfait et mesuré, sans exagérations et avec un formidable sens du chant. Selig et Amfortas sont remarquables dans le dramatisme du grand monologue-récit du premier et la souffrance du grand maître du Graal. Elsner est réputé en tant que wagnérien accompli, et il a joué un héros d’exception, mais on sait bien que les «silences» de Parsifal laissent souvent à l’écart le titulaire du rôle-titre. Jerkunica, basse croate, force sa jeunesse pour le rôle de Titurel, invisible dans d’autres productions, très mobile avec Guth, et il a été à la hauteur d’une distribution aussi remarquable.


Les éloges adressés à la direction de Semyon Bychkov ont été unanimes. On a préféré assister à l’une des deux représentations dirigées par Paul Weigold, moins connu, qui ne nous a pas déçus du tout: un Parsifal dense, certainement, mais délicat, nuancé, avec plus de suggestions que de moments frappants.


Une belle représentation, dont la mise en scène n’a pas été unanimement acceptée, mais il s’agit d’une belle et courageuse solution au problème scénique posé par cet opéra sublime.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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