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Un chef-d’œuvre explosif

Baden-Baden
Festspielhaus
03/26/2016 -  
Max Bruch: Concerto pour violon n° 1 en sol mineur, opus 26
Dimitri Chostakovitch : Symphonie n° 4 en ut mineur, opus 43

Janine Jansen (violon)
Berliner Philharmoniker, Sir Simon Rattle (direction)


J. Jansen, S. Rattle (© Monika Rittershaus)


Proposer la Quatrième Symphonie de Chostakovitch au cours d’un festival huppé est un acte courageux. On reconnaît bien là l’esprit aventureux de Simon Rattle, toujours prêt à lancer de nouveaux défis, tant à son public qu’à son orchestre. Segmentée en trois mouvements d’inégale durée (le premier dure à lui seul près de trente minutes) cette symphonie combine démesure post-romantique et grands chahuts modernistes avec un sens narratif très particulier. Le scénario romanesque (mahlérien?) sous-jacent demeure codé, voire indéchiffrable, l’auditeur devant se familiariser à mesure avec une suite de péripéties tantôt sarcastiques, tantôt douces-amères, tantôt ouvertement violentes. Le travail thématique lui-même est d’une fascinante diversité, contrepoint soutenu, accidents de parcours singuliers, soli virtuoses, martèlements d’accords enrichis d’une incroyable variété de surcharges. Cette remarquable succession de coups de poing dans l’estomac, bariolage expressionniste d’une beauté sauvage, vous laisse au bout de plus d’une heure totalement essoré, les dernières minutes semblant se perdre dans un angoissant nulle part, désert sonore entretenu jusqu’au silence final par des contrebasses obsédantes et quelques bribes de célesta.


Avec cette symphonie, écrite juste après Lady Macbeth de Mzensk, Chostakovitch pousse le curseur expressif à des paroxysmes qu’il ne recherchera plus jamais, ou en tout cas plus sous une forme aussi grinçante. Non pas en raison d’un revirement esthétique délibéré mais sous la pression d’un pouvoir stalinien ressenti à l’époque à juste titre par Chostakovitch comme particulièrement menaçant. Mise en répétitions en 1936, l’œuvre sera retirée de l’affiche avant sa création, pour n’être finalement révélée qu’en 1961. Et depuis lors sa popularité reste infime, du moins en regard par exemple de celle de la Cinquième Symphonie, revirement ostensible du compositeur vers un art plus conventionnel.


Un chef-d’œuvre ? Assurément oui, mais... Il faut à cette partition hors norme un orchestre et un chef à sa mesure. Hâtivement répétée, simplement réduite à la juxtaposition d’épisodes d’intensité variable, il n’en sortira rien d’autre qu’interrogations sans réponses et séquences anarchiques oscillant entre relatif ennui et décibels bruts. Cette symphonie nécessite un vrai travail de fond, voire une conviction d’ensemble. Rattle en est familier depuis longtemps, pour l’avoir déjà enregistrée pendant son long mandat à la tête de l’Orchestre de Birmingham. Et les musiciens berlinois n’en sont pas non plus à leurs premiers pas dans l’ouvrage, puisqu’ils l’ont déjà joué plusieurs fois avec leur chef, en 2009 puis lors d’une tournée récente à l’automne 2015. Avec pour résultat aujourd’hui une exécution techniquement insurpassable, depuis la précision des cordes jusqu’à une l’incroyable variété de timbres et d’alliages produite par les cuivres, la petite harmonie et les percussions. Ce luxe de détails, cette simultanéité des attaques qui ne semble jamais prise en défaut même dans les tutti les plus énormes, pourraient cependant tourner à vide. Mais grâce à Simon Rattle la juxtaposition d’instants et de climats ne tourne jamais à la mosaïque, ni d’ailleurs non plus à la lecture analytique et froide : il reste toujours un fil conducteur, parfois tragiquement ténu mais présent.


A plusieurs moments on s’interroge sur l’impact immédiat de la chose, dans une salle remplie d’un public visiblement peu préparé au choc. En définitive, et sans doute aussi du fait de la fascination brute exercée par la perfection instrumentale, les signes d’ennui restent peu perceptibles. Et au bout de plus d’une heure de déferlements, voire encore quelques longues secondes de silence abasourdi, les applaudissements dépassent nettement ce qui aurait pu se limiter à un succès poli. Tant mieux : le pari est gagné !


En première partie, le Premier Concerto pour violon de Max Bruch et la charmante Janine Jansen jouent un rôle de contraste, pour ne pas dire d’appât. Jeu violonistique fin et racé, sans appuis excessifs (voire un rien pâle dans la dernière partie), superbe surenchère de pianissimi suspendus entre l’orchestre et la soliste dans l’Andante : l’ouvrage est bien défendu, avec du côté de Simon Rattle accompagnateur une certaine propension aux détails artistement soulignés qui peut agacer mais qui reste toujours en situation. Clairement le centre de gravité du concert ne se situe pas du tout là, mais ce concerto injustement délaissé aujourd’hui se réécoute avec plaisir.



Laurent Barthel

 

 

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