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Matthias Pintscher face à ses maîtres

Paris
Philharmonie 2
03/23/2016 -  
Manfred Trojahn : Nocturne - Minotauromachie, pour ensemble (création)
Matthias Pintscher : Mar’eh (création de la version pour violon et ensemble)
Hans Werner Henze : Le Miracle de la rose

Hae-Sun Kang (violon), Jérôme Comte (clarinette)
Ensemble intercontemporain, Matthias Pintscher (direction)


P. Boulez, M. Pintscher


Le beau programme que voilà, qui met en valeur quelques grands noms de la musique allemande d’aujourd’hui... hélas trop peu joués de notre côté du Rhin.


Prenez Manfred Trojahn (né en 1949): ce compositeur attachant, classé comme l’un des hérauts du courant dit de la «nouvelle simplicité» (par opposition à la «nouvelle complexité» d’un Brian Ferneyhough), est à la tête d’un catalogue particulièrement abondant, avec une prédilection marquée pour la musique symphonique et l’opéra. Il faut (re)découvrir toutes affaires cessantes ce contemporain de Wolfgang Rihm, auprès duquel Matthias Pintscher étudia à Düsseldorf.


Nocturne - Minotauromachie (2016), donné en création mondiale, est une commande de l’Ensemble intercontemporain. Inspirée d’une gravure de Picasso, la pièce ne se veut pas une «illustration» non plus qu’une «réplique» de l’œuvre picturale de l’Espagnol, mais «un processus explicitement musical de variation et de développement, peut-être comparable à la prolifération que l’on trouve chez Pierre Boulez» – Pierre Boulez, décédé durant la composition, à qui Minotauromachie est dédié.


Ce recours au lexique boulézien, l’auditeur intuitif le perçoit: voilà une musique qui grouille de motifs agissant comme autant de poussées organiques, souvent velléitaires. Certaines séquences semblent tourner volontairement à vide, fondées sur quelques formules inlassablement répétées, tandis que d’autres frappent par leur débordante vitalité. N’était l’utilisation totalement différence des instruments, on rapprocherait cette pièce du génial Mouvement (- avant l’engourdissement) de Helmut Lachenmann. Rompu à cette virtuosité rythmique comme aux élans lyriques (confiés aussi bien au hautbois qu’au tuba), l’Ensemble intercontemporain s’est montré à la hauteur de l’enjeu.


Une autre virtuosité, moins ostentatoire celle-là, préside à Mar’eh, originellement écrit pour violon et orchestre, et créé ici dans sa version pour violon et ensemble. «J’ai essayé de construire la pièce à la manière d’une chanson» nous dit Matthias Pintscher (né en 1971). Afin de mettre en valeur le «jeu à la fois très intense et léger» du soliste, le compositeur cisèle des textures transparentes, voire raréfiées, riches en «moments filés de soie» que célèbre un vers de La Fontaine. Nourries aux mamelles du spectralisme (sonorités diffractées) et des Pièces pour orchestre opus 16 de Schoenberg (Klangfarbenmelodie), la partition favorise les phénomènes de tuilage, de continuum (à l’archet de violon répond celui frotté contre la cymbale). Un moment inoubliable voit l’échappée mélodique d’un solo de cor – que rien ne laissait prévoir – sur un délicat camaïeu de l’ensemble. Bien qu’ayant à l’esprit «les lignes délicates» de la violoniste allemande Julia Fischer, Matthias Pintscher n’a pas perdu au change avec les arabesques oniriques déployées par Hae-Sun Kang.


Le Miracle de la Rose de Hans Werner Henze (1926-2012), d’après le roman éponyme de Jean Genet, se veut un «théâtre imaginaire» en ce qu’il transpose le contenu poétique au monde instrumental. Ainsi qu’il le fit pour son opéra Elégie pour de jeunes amants (1961), Henze confie aux instruments le rôle de quelques protagonistes. Aussi le soliste, équipé de trois clarinettes différentes, porte-t-il à la fois la voix du poète (clarinette basse) et celle du condamné (clarinette/petite clarinette). Formellement, c’est la suite de danses baroques (rigodon, loure...) qui est prise comme modèle, à laquelle se joint le caractère d’un concerto, ce que n’est pas à proprement parler Le Miracle de la Rose – pas plus qu’un poème symphonique d’ailleurs. Omniprésent durant les quelque trente minutes que dure la partition, Jérôme Comte a livré une performance qui tutoie l’excellence: il y a certes la vélocité des traits, la rapidité étourdissante des changements de registres, mais aussi cette vocalité latente qui passe par le modelé du timbre; exactement ce que recherchait le compositeur en associant l’instrument à l’«assassin si beau qu’il fait pâlir le jour» célébré par Genet.



Jérémie Bigorie

 

 

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