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Netrebko puissance deux

Baden-Baden
Festspielhaus
02/20/2016 -  
Mélodies de Rachmaninov, Rimsky-Korsakov et Tchaïkovski
Anna Netrebko (soprano), Elena Bashkirova (piano)


E. Bashkirova, A. Netrebko (© manolo press)


Le gala annuel des bienfaiteurs du Festival de Baden-Baden est l’occasion privilégiée de rassembler tous les contributeurs privés de l’institution, du mélomane le plus modeste au mécène le plus fortuné. Ce moment de convivialité, concert de prestige suivi d’un dîner sur le pouce où toute la salle est conviée, contribue à cimenter une entreprise culturelle dont la pérennité dépend essentiellement de toutes ces bonnes volontés, fédérées par l’infatigable intendant Andreas Mölich-Zebhauser, en poste depuis déjà 18 ans. La fonction n’est pas facile puisqu’il faut à la fois élaborer des projets artistiquement stimulants et tenir compte des aspirations d’un public dont la soif de nouveautés n’est pas forcément la vertu cardinale. Un exercice d’équilibriste, d’autant plus crucial qu’il faut aussi chaque année recruter de nouveaux adhérents, l’érosion du temps faisant malheureusement son œuvre, même parmi les membres de ce club de donateurs éclairés.


Parmi les recettes qui fonctionnent toujours à Baden-Baden: une technique éprouvée de storytelling, qui vise à consolider d’année en année des liens avec un nombre limité de grands interprètes. D’un concert de retrouvailles à l’autre se dessine ainsi une sorte d’histoire commune à forte connotation affective, antécédents chaleureux systématiquement retracés dès que le prochain passage de la star est programmé. Une méthode infaillible pour remplir la salle, par un effet de retour de balancier dont la puissance même a quelque chose d’intimidant. Il suffit d’annoncer par exemple Anna Netrebko pour que l’énorme Festspielhaus se loue en quelques jours, jusqu’au dernier fauteuil. Et même un contingent d'une centaine de places debout, débloqué en dernière minute, n’a pu ce soir-là satisfaire tous les laissés-pour-compte. Après, que l’attraction du moment soit plus ou moins en forme, voire plus ou moins inspirée dans son choix de programme, devient relativement secondaire. L’importance de l’événement ne se juge plus exclusivement sur des critères artistiques et la standing ovation d’après-concert fait elle aussi partie d’un rituel déterminé d’avance.


Place donc à la belle Anna Netrebko, présentée dans le relatif dénuement d’un récital avec piano. Des mélodies russes, du terroir authentique, de l’intimité : le programme officiel de la saison à Baden-Baden n’a pas manqué de promettre du « Netrebko pur » à un public de privilégiés invités à partager quelque chose de rare voire d’unique. Le storytelling, toujours... Le curieux de belles voix verra peut-être davantage dans cet événement l’occasion de réévaluer les affinités d’Anna Netrebko avec ce répertoire particulier, chanté à quelques reprises en récital avec Daniel Barenboim en 2009 et 2010 (DG avait publié à l’époque le concert de Salzbourg sous le titre « In the Still of the Night », belle démonstration de chant russe, capiteuse à souhait).


Aujourd’hui, par rapport à ce témoignage discographique, la voix d’Anna Netrebko a nettement changé. Entendue en direct, elle semble avoir pris une impressionnante ampleur, des dimensions de soufflerie d’orgue. Une mutation technique qui ne porte malheureusement pas que sur le volume : les appuis aussi ont changé, avec une tendance à pousser continuellement la colonne d’air en force vers les résonateurs. Le timbre est glorieux, les harmoniques vibrent luxueusement, mais on se demande quand même combien de temps l’édifice pourra tenir à ce degré de tension avant qu’apparaissent les premiers signes de fatigue. Pour l’instant, l’artiste peut tout se permettre, y compris distendre totalement les proportions de mélodies de salon pour les transformer en mastodontes. Mais ce faisant elle ressemble un peu au terrible Atlas du Schwanengesang de Schubert, tous muscles bandés pour faire tenir l’univers entier sur ses épaules. La performance laisse abasourdi, mais où est passé l’esprit de ces pièces intimes ?


En début de programme, Rachmaninov paraît problématique, les subtilités harmoniques de la partie pianistique (tenue par une très probe et toujours concentrée Elena Bashkirova) disparaissant souvent sous un torrent vocal qui rend les détails indistincts. Il faut attendre les mélismes voluptueux du célèbre Ne poy krasavitsa pri mne pour que l’opulence insolente du timbre paraisse enfin en situation. Plus directement et simplement russes, les Mélodies de Rimsky-Korsakov paraissent mieux en phase avec ce luxe très présent, rutilance étalée sans aucune inhibition. On se laisse davantage emporter, même si l’inspiration poétique des textes chantés ne semble pas voler très haut : nuits d’été moites, chants de rossignol éperdu, herbe verte... etc. etc. Et puis tout à coup se glisse un air d’opéra, extrait de La Fiancée du Tsar : là le système fonctionne mieux, les moyens vocaux semblant pour la première fois en phase avec une dimension dramatique ici pleinement requise.


Changement de robe (on passe d’une sorte d’aube folklorique à un lourd modèle en brocart: à chaque fois le look est pour le moins théâtral, en tout cas difficilement portable ailleurs que dans une salle de concert...) pour une seconde partie entièrement dévolue à Tchaïkovski. Là encore la simplicité relative des interprétations d’hier s’efface désormais derrière une opulence presque wagnérienne, comme si la diva avait oublié, avant de se lancer dans un récital de mélodies, de réduire le cadre à ses justes dimensions, en largeur comme en hauteur. Mais l’affinité particulière de Netrebko avec la sensibilité de l’auteur d’Eugène Onéguine nous vaut plusieurs beaux moments, enchaînés avec un art consommé de varier les ambiances.


Tout au long du concert, Elena Bashkirova reste d’une solidité inébranlable, alors même qu’autour d’elle la diva circule beaucoup en chantant, n’hésitant pas à investir largement tout l’espace disponible, là encore comme sur une scène d’opéra. Très concentrée sur la lecture de ses partitions, la pianiste russe construit une remarquable symbiose avec une artiste dont elle semble anticiper chaque respiration, sans même avoir besoin de la regarder. Un travail assez différent, plus scrupuleux et construit, des « coups de patte » si particuliers, peu précis mais parfois génialement inspirés, de Daniel Barenboim.


En bis, exactement les même deux pièces qu’à la fin du récital russe de Salzbourg en 2009: un très beau Chant tzigane de Dvorák, et une vrombissante Cäcilie de Strauss, d’un bout à l’autre fortissimo, encore que dans un allemand correct.



Laurent Barthel

 

 

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