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Dantesque Krivine

Paris
Maison de la radio
03/03/2016 -  
Hector Berlioz : Le Corsaire, opus 21, H. 101
Camille Saint-Saëns : Concerto pour piano n° 2, opus 22
Dimitri Chostakovitch : Symphonie n° 5 en ré mineur, opus 47

Bertrand Chamayou (piano)
Orchestre national de France, Emmanuel Krivine (direction)


E. Krivine (© Fabrice Dell’Anese)


Quelques mois après sa ici dernière prestation à la tête de l’Orchestre de national de France à la Maison de la Radio, Emmanuel Krivine faisait son retour avec la même formation, remplaçant au pied levé Riccardo Muti, absent pour cause d’intervention chirurgicale. Que les fans du chef italien se rassurent: Muti sera normalement rétabli pour le prochain concert prévu le 24 mars ici-même. Place donc à Krivine en ce début d’année, avec un orchestre dont plusieurs bruits de couloir annoncent qu’il en sera le prochain directeur musical – une nomination très attendue suite au départ de Daniele Gatti pour Amsterdam, à la fin de la saison.


Le programme du concert initialement prévu a été largement modifié en conséquence, Berlioz et Saint-Saëns remplaçant Liszt et Hindemith, tandis que la Cinquième Symphonie de Chostakovitch, plat de résistance de la soirée, est maintenue. On retrouve tout d’abord l’ouverture Le Corsaire composée par Berlioz en 1844 et pratiquement contemporaine de l’ouverture plus connue Le Carnaval romain. Cette œuvre régulièrement reprise par l’Orchestre de Paris et Paavo Järvi (en France comme en tournée) fait feu de tout bois sous la baguette énergique de Krivine, ivre des multiples changements d’atmosphère de ce petit bijou d’écriture orchestrale virtuose. Comme souvent, le chef français se délecte des détails de la partition sans laisser de côté son goût pour les effets de surprise, rugissant ici pour mieux ralentir ensuite, en une direction souple et élastique. Les belles cordes expressives de l’Orchestre de national de France se détachent admirablement dans ces explosions électriques et revigorantes, parfaitement étagées.


Après cette délicieuse mise en bouche, place à l’aérien et mélodique Deuxième Concerto pour piano de Saint-Saëns, l’une des œuvres les plus fameuses du maître français. Après une introduction où la verticalité impose le caractère, le piano de Bertrand Chamayou se fait plus discret, ne cherchant pas à prendre le pouvoir en une optique équilibrée avec l’orchestre, à mi-chemin entre le narratif et le purement formel. Le jeune Français se montre plus à l’aise dans les passages techniques difficiles que dans la musicalité, tandis que l’accompagnement de Krivine, léger et félin, presque nonchalant aux vents, apporte beaucoup de plaisir dans l’Allegro scherzando – le mouvement le plus réussi ce soir. En bis, Chamayou nous offre une pièce rare adaptée par Liszt à partir du lied Auf Flügeln des Gesanges (Sur les ailes du chant) de Mendelssohn: une brève conclusion aux accents plus calmes après le brio du Concerto.


Après l’entracte, les premiers accords bien connus de la Cinquième Symphonie de Chostakovitch raisonnent en un rythme vif et sans pathos, dont toute tension est absente tant les pupitres respirent en un fondu legato aussi tenu que surprenant. Cette introduction contraste rapidement avec le premier tutti d’une violence rageuse et aux verticalités péremptoires, prélude à de nombreux effets de nuances – pianissimo mystérieux surtout. Krivine n’hésite pas non plus à jouer sur le tempo, ralentissant notablement les dernières mesures du premier mouvement en un climat véritablement inquiétant. L’Allegretto est plus réussi encore autour des contrastes nombreux, là aussi, dont l’élégance chambriste de Krivine se régale, marquant les verticalités de son autorité pour mieux s’amuser ensuite de l’espièglerie globalement à l’œuvre ici. L’atmosphère de renoncement dévoilé lors du superbe Largo n’en est que plus surprenante encore, s’appuyant sur un allégement plus chambriste encore et des phrasés dénervés, aux notes détachées, où chaque pupitre de cordes apparaît bien différencié. Si les pianissimi sont encore nombreux, ils disparaissent totalement au début de l’Allegro final, cravaché en un tempo rapidissime, direct et excitant. La violence sauvage qui se dégage aux timbales fait écho à la rage d’un Chostakovitch alors en difficulté avec le pouvoir communiste. Krivine sait s’en souvenir lors des ultimes mesures de ce mouvement dantesque d’où ne perce aucun triomphalisme, tant le rythme éperdu de l’orchestre fait plutôt penser à une course à l’abîme, oppressante et sans retour. On ne croyait pas pouvoir ressentir autant de noirceur dans ce finale, autant de pessimisme dans cette musique aux éclats permanents. C’est là tout le sel de cette interprétation inspirée, portée par un superbe Orchestre de national de France, qui résonne encore longtemps après avoir quitté la Maison de la radio.



Florent Coudeyrat

 

 

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