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Les chemins italiens de Wagner

Madrid
Teatro Real
02/19/2016 -  et 22, 25*, 27, 28 février; 1er, 3, 4, 5 mars 2016
Richard Wagner: Das Liebersverbot oder Die Novize von Palermo
Manuela Uhl (Isabella), María Miró (Mariana), Peter Lodahl (Luzio), Ilker Arcayürek (Claudio), Ante Jerkunica (Brighella), Christopher Maltman (Friedrich), David Alegret (Antonio), David Jerusalem (Angelo), Isaac Galán (Daniel, María Hinojosa (Dorella), Francisco Vas (Pontio Pilato)
Coro Titular del Teatro Real (Coro Intermezzo), Andrés Máspero (chef de chœur), Orquesta Titular del Teatro Real (Orquesta Sinfónica de Madrid), Ivor Bolton (direction musicale)
Kasper Holten (mise en scène), Steffen Aarfing (décors et costumes), Signe Fabricius (chorégraphie), Bruno Poet (lumières), Luke Halls (vidéo)


M. Miró, M. Uhl (© Javier del Real/Teatro Real)


Un opéra de jeunesse de Wagner, son deuxième opéra mais le premier sur la scène d’un théâtre. Il y a à son propos toute une collection de lieux communs renfermant des petites vérités: une musique faible, un italianisme étonnant, un Donizetti inférieur (ou Bellini, ou Rossini, tous les musiciens que vous voulez). Mais on ne dit pas souvent qu’il s’agit d’un opéra où le jeune compositeur montre sa capacité, sa maîtrise de la ligne et de l’orchestre. Il suit l’italianisme en vigueur partout en Europe, un italianisme inspirateur, précisément en ce moment de l’histoire, l’essor des premiers opéras russes; un italianisme n’épargnant même pas le piano (les Nocturnes de Chopin, par exemple, composés de deux parties: la ligne du véritable nocturne et la ligne belcantiste). Après Les Fées (à vingt ans!), un peu magique, un peu Freischütz, un peu Vampire (Marschner), jamais représenté; avant Rienzi, un peu trop Meyerbeer; quelques années avant Le Vaisseau fantôme, dont l’italianisme bellinien ou donizettien est, dans notre perspective, aussi évident que le futur tout à fait wagnérien... à ce moment-là, à vingt-trois ans, Wagner compose un opéra plein de clins d’œil, d’humour (et l’humour ne sera pas son fort, jamais, même pas dans Les Maîtres Chanteurs, dont l’humour tient surtout du sarcasme contre un pauvre manichéen inventé, Beckmesser, facile à réfuter comme tous les manichéens inventés du monde; un opéra dont l’origine est une bagarre dans la rue) et dont la lettre, voire l’esprit, est celle de l’Italie opératique de Donizetti, Bellini, Mercadante, Rossini e tutti quanti. Les finales (des actes, mais aussi des ensembles) sont aussi italiens que possible.


La pièce de Shakespeare qui inspire cet opéra de Wagner n’est pas aussi italienne que cela. Les passions débordantes ont lieu en Europe centrale. Il était plus prudent de déplacer l’action vers le sud, ah, le sud qui ne se contrôle pas, tandis que nous, les Allemands (pas encore unifiés, mais cela viendra), autour de Vienne ou de Berlin, on ne sait pas encore, nous sommes plus sérieux, plus cultivés, malgré tous les petits pouvoirs, toutes les petites cours qui restent malgré les suppressions napoléoniennes. Ah, l’Italie rêvée par les Allemands, fascinés eux tous – il y a certes des exceptions, comme Thomas Mann – par la sensualité ou quelque chose de semblable provenant de la péninsule, des îles. Et des Polonais, comme Szymanowski...! Le sens de La Défense d’aimer est là, mais il y a une ironie raffinée que la mise en scène de Kaspar Holten cultive avec un talent insurpassable dans la direction d’acteurs et avec un espace scénique formidable de Steffen Aarfing pour le tissu des actions dramatiques. Le livret contradictoire et parfois incohérent de Wagner lui-même n’est pas le premier livret menant à une belle mise en musique. L’intérêt réside surtout dans les ensembles, plus que dans les airs y les duos. Holten est en face d’une pièce-comédie signée Wagner, mais mineure, certainement. Et il dédramatise encore plus, avec des détails pas du tout gênants dans des scènes en apparence plutôt sérieuses (le premier dialogue des deux novices, Isabella et Marianna, par exemple). Holten, avec Arfing, propose une solution théâtrale belle, comique, voire cocasse. A partir même de l’Ouverture, où nous voyons une vidéo avec un des célèbres portraits de Wagner, qui réagit aux stimulations venant de l’orchestre.


Justement, dans la fosse, Ivor Bolton fait preuve d’une vitalité tout à fait nécessaire pour les moments les plus spectaculaires de cet opéra. La distribution est très adéquate pour ce qui est des voix et, souvent, du sens de la comédie nécessaire pour la progression des intrigues. Manuela Uhl est peut-être meilleure soprano que comédienne, mais au moins elle n’exagère pas son rôle, son sens comique est élégant et mesuré. Elle a remporté le principal succès de la soirée (avec la mise en scène, bien sûr). Maria Miró, Peter Lodahl, Ilker Arcayürek, Christopher Maltman complètent le quintette des protagonistes de cette folle journée où Holten laisse chanter, laisse se réjouir les acteurs et, eux, de leur part, donnent le meilleur d’eux-mêmes dans cette histoire où le sexe (l’amour...?) est interdit par le fanatisme ou l’intégrisme d’un nord nuisible pour lui-même, personnifié dans un gag final désopilant (Mme Merkel débarque pour interdire l’interdiction de sexe), pas du tout subtil, mais efficace. Du point de vue vocal, les ensembles ont mérité une réaction chaleureuse de la part du public que les solos n’ont pas gagnée.


Bref, un de ces moments spéciaux que tous les grands théâtres se permettent: un opéra mineur, un compositeur (devenu) considérable, une curiosité... et tout cela avec une équipe d’un niveau hors du commun, malgré des moments de froideur du public; et avec une mise en scène sage et comique à la fois.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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