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Le tsar Gergiev

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
02/12/2016 -  et 10 février 2016 (München)
Wolfgang Amadeus Mozart : Concerto pour piano n° 9 en mi bémol majeur «Jeunehomme», K. 271
Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Symphonie «Manfred» en si mineur, opus 58

Yuja Wang (piano)
Wiener Philharmoniker, Valery Gergiev (direction)


V. Gergiev (© Valentin Baranovsky)


Les bis donnés par un artiste trahissent-ils sa personnalité? Si la question peut parfois se poser, elle se révéla avec une particulière acuité ce soir puisqu’à la fin de la première partie, la jeune pianiste Yuja Wang (née en 1987) n’en donna pas moins de trois, allant de «La Mort d’Orphée» (tirée d’Orphée et Eurydice de Gluck) à la «Marche turque» de Mozart (dans l’arrangement de son confrère Arcadi Volodos) en passant par la chanson «Tea for two» dans l’arrangement cette fois-ci d’Art Tatum!


Ceci n’est pas banal mais Yuja Wang ne l’est pas... Robe de soirée brillante dévoilant largement son dos nu, entrée sur scène un peu périlleuse tant en raison de la robe que, semble-t-il, de ses chaussures, un salut rapide au public et c’est parti pour le Concerto «Jeunehomme» qui, faut-il le rappeler, est ainsi dénommé non en raison de l’âge de son auteur (qui avait vingt-et-un ans lors de sa composition) mais en hommage à sa dédicataire, une certaine Mademoiselle Jeunehomme (ou Jenamy), virtuose du piano qui aurait fortement impressionné la divin Wolfgang. Les doigts de la soliste chinoise courent sur le clavier avec une aisance naturelle, enchaînant les mélodies avec une évidente facilité même si, avouons-le, ce concerto ne semble pas constituer un monument de difficultés pour un pianiste. Mais ce jeu s’avère trop propre, trop lisse, presque indifférent, seules les cadences des premier et troisième mouvements semblant trouver grâce à ses yeux, qui lui permettent enfin de déployer l’étendue de sa technique. Peut-être est-ce également ce désir qui lui fit prendre le Rondo. Presto aussi rapidement, la ligne perdant en netteté ce qu’elle gagna en vélocité. En vérité, seuls les bis marquèrent la présence de Yuja Wang ce soir car, pour ce qui est de Mozart, on cherchera ailleurs quelqu’un qui aime vraiment cette musique et qui ne l’aborde pas avec un tel détachement. La bonne surprise de cette première partie vint bien davantage de l’orchestre qui, quoique conséquent (43 musiciens, dont 22 violons et 5 contrebasses), s’avéra pleinement mozartien: déterminées, précises en dépit de la direction toujours aussi floue pour le profane de Valery Gergiev, légères, les cordes du Philharmonique de Vienne furent d’emblée à la hauteur de leur réputation.


On connaît l’appétence de Valery Gergiev pour le répertoire russe, notamment pour Tchaïkovski. N’oublions pas que c’est avec ce compositeur que, le 26 juillet 1998, Gergiev fit ses débuts symphoniques au festival de Salzbourg avec les Wiener Philharmoniker: il dirigeait alors une incandescente Cinquième Symphonie que le disque a heureusement préservée. Ce soir, c’était au tour de la plus méconnue Symphonie «Manfred» (1886), œuvre orgiaque en alternance avec Moussorgski et Wagner au cours de la tournée du Philharmonique de Vienne qui, passant par Paris, les a emmenés aussi bien à Munich que, prochainement, aux Etats-Unis et en Amérique du Sud. Le résultat de cette heure de musique fut exceptionnel. Ce n’était pas forcément évident puisque les précédentes venues du chef russe à la tête des Viennois n’avaient pas toujours laissé de forte impression (voir ici et ici) mais, ce soir, on rend les armes. Plus poème symphonique que symphonie à proprement parler en dépit de ses classiques quatre mouvements, la Symphonie «Manfred» dirigée par Gergiev s’apparente surtout à une véritable épopée qui passe alternativement du tragique (l’entrée en lice des trois bassons, leitmotiv que l’on retrouve d’ailleurs dans l’ultime mouvement) à l’atmosphère mutine (la course-poursuite entre bois dans le deuxième mouvement) en passant par le «pathos tchaïkovskien» aux envolées de cordes reconnaissables entre mille.


Le Philharmonique de Vienne au grand complet (plus de quatre-vingts musiciens dont plus de cinquante cordes) est sans conteste dans un de ses grands jours. Dans le Lento lugubre, la finesse des cordes impose un climat idéal pour accueillir le magnifique solo de clarinette basse (tenue par l’excellent Andreas Wieser), les vingt-huit violons déployant ensuite leur cohésion avec une incroyable richesse expressive, le mouvement se concluant dans une orgie sonore grâce aux nombreux cuivres et percussions requis. Dans le deuxième mouvement (Vivace con spirito), c’est le compositeur de ballets qui reprend le dessus avec ces bois étincelants, ces flûtes irréelles, cette clarinette solo (Matthias Schorn), ces deux harpes ou ce hautbois viennois enjôleurs: Casse-Noisette n’est pas loin. On admire à chaque instant l’interprétation millimétrée comme cette fine transition entre la fin du deuxième mouvement (le glissando du Konzertmeister Rainer Küchl) et l’entrée en lice du hautboïste solo Martin Gabriel au début du troisième mouvement, ce-dernier offrant des accents bucoliques à souhait, presque champêtres avant que l’Allegro con fuoco final ne conclue l’œuvre de la plus belle manière. Avec toujours force éructations, dirigeant à mains nues (sans même l’espèce de cure-dents dont il use parfois), Gergiev conduit l’ensemble avec maestria, usant de toute la palette sonore possible, ne masquant aucun détail mais veillant toujours à avancer, sa direction se voulant conquérante au possible.


Salués par un Théâtre des Champs-Elysées comble, Valery Gergiev et les Wiener Philharmoniker offrirent en bis un beau «Panorama», extrait du ballet de La Belle au bois dormant, concluant dans une absolue finesse un concert qui n’en avait déjà pas manqué. Avis aux amateurs: le Philharmonique de Vienne revient le 23 juin avenue Montaigne, sous la direction cette fois-ci de Daniele Gatti pour un prometteur concert Beethoven/Richard Strauss/Mahler.


Le site de Yuja Wang
Le site de l’Orchestre philharmonique de Vienne



Sébastien Gauthier

 

 

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