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Week-end Stockhausen

Paris
Philharmonie
01/30/2016 -  et 31* janvier 2016

30 janvier, Philharmonie 2 (Grande salle)
Jonathan Harvey : ... towards a pure land
Bernd Alois Zimmermann : Antiphonen
Karlheinz Stockhausen : Gruppen (*)

Odile Auboin (alto)
Orchestre du Conservatoire de Paris, Ensemble Intercontemporain, Matthias Pintscher, Paul Fitzsimon (*), Bruno Mantovani (*) (direction)


31 janvier, Philharmonie 1 (Salle de répétition 1)
Karlheinz Stockhausen : Solo (version I) pour flûte et réinjection – Telemusik, musique électronique – Solo (version III) pour trombone et réinjection – Adieu pour quintette à vent
Solistes de l’Ensemble intercontemporain: Emmanuelle Ophèle (flûte), Didier Pateau (hautbois), Jérôme Comte (clarinette), Paul Riveaux (basson), Jens McManama (cor), Benny Sluchin (trombone)


31 janvier, Philharmonie 2 (Amphithéâtre)
Karlheinz Stockhausen : Klavierstücke XII, XIII, XIV et XVI
Jan Michiels (piano)


M. Pintscher (© Andrea Medici)


C’était fin avril 1998: la Cité de la musique (pas encore baptisée Philharmonie 2) fêtait en sa présence les 70 ans de Karlheinz Stockhausen (1928-2007). Au programme, ces mêmes Gruppen que dirigeaient David Robertson, Peter Eötvös... et Pierre Boulez. A présent que ces deux immenses artistes nous ont quittés, il est réconfortant de voir la relève assurée tant l’interprétation donnée samedi dernier suscite l’enthousiasme.


On sait l’attachement persistant qu’éprouvait le compositeur pour la captation réalisée en 1965 à Cologne – malgré la référence discographique signée entre-temps par Abbado/Creed/Goldman et les Berliner (1994, DG); force est de constater que l’on joue désormais cette musique sans crispation, avec bien plus de naturel, de respiration. Epaulés par les membres de l’Ensemble intercontemporain (Jeanne-Marie Conquer, Pierre Strauch, Sophie Cherrier...) disséminés au sein des trois orchestres, les jeunes musiciens du Conservatoire font assaut de virtuosité (signalons la petite clarinette, le piano et les nombreuses percussions), trouvant le juste équilibre entre l’aspect «concerto pour orchestre» – qui met à contribution la vélocité individuelle (mini-cadences) et collective (travail sur les ensembles en conformité avec le principe de la Gruppenform) – et la dramaturgie du propos. Il faut naturellement saluer le travail d’équipe des trois chefs, chacun usant de sa gestuelle propre: Paul Fitzsimon (très carré), Matthias Pintscher (à la fois souple et précis) et Bruno Mantovani (plutôt décontracté). Seul bémol: la configuration de la salle, qui ne permet qu’aux chanceux assis au centre de la disposition en fer à cheval de pouvoir jouir pleinement du passage le plus grisant de l’œuvre durant lequel les appels de cuivres se répondent d’un orchestre à l’autre.


En première partie, ... towards a pure land (2005) de Jonathan Harvey (1939-2012) renoue certes avec une formation orchestrale plus traditionnelle, mais le discours s’éploie d’une manière bien peu académique. La dimension contemplative, avec ces sonorités étales de cordes qu’une séquence mémorable circonscrit aux limites de l’audible, alterne avec des événements plus rythmés où les interventions ponctuelles des wood-blocks agissent comme une sorte de cérémonial. Matthias Pintscher modèle les textures avec un art consommé, ainsi qu’en témoigne l’entêtante coda.


Au drame des Gruppen préludait le tragique d’Antiphonen (1962), pour alto et petit ensemble, de Bernd Alois Zimmermann. En seulement quinze minutes de musique se trouve concentrée la poétique du compositeur des Soldats (dont la rivalité avec Stockhausen était notoire) avant les collages pluralistes à venir. Il faut saluer de nouveau la performance des musiciens du Conservatoire, notamment dans les cadences verbales de l’Antiphonie IV, véritable tempête sous un crâne, durant laquelle ils récitent de courts extraits de textes appartenant à la littérature universelle dans les langues d’origine (Kafka, Joyce, Dante, la Bible...), tandis que le soliste se débat avec son instrument. La performance d’Odile Auboin, sobre et consciencieuse, ne fait pas oublier celle, insigne, accomplie par Christophe Desjardins (David Robertson au pupitre) il y a quinze ans in situ. Le public en ressort conquis, ainsi que l’attestent les applaudissements nourris qui succèdent à la stupeur devant cette pièce résolument inclassable.


Intitulé «Tokyo 1966», le programme du lendemain se concentre sur les œuvres chambristes de cette période nippone «qui marquent un pas important vers la musique intuitive». Les deux versions de Solo, jouées à la flûte (Emmanuelle Ophèle) et au trombone (Benny Sluchin), encadrent Telemusik pour dispositif électronique. Malgré la technique irréprochable des solistes et la projection optimale des réinjections électroniques, on ne peut s’empêcher de percevoir ces œuvres, une fois mises en perspective dans la trajectoire de Stockhausen, comme un laboratoire aux plus significatifs Hymnen de 1969. Il appartient à Adieu de laisser le souvenir le plus prégnant: dix ans après les formalistes Zeitmasse, ce nouveau quintette à vent inspiré par «les jeux de lignes et de couleurs de Mondrian» dégage une forte émotion. Les relais serrés des motifs, comme la structure fondée sur les séries métriques de Fibonacci n’empêchent pas les musiciens de l’Ensemble intercontemporain de semer des zones troubles où le fugitif, l’éphémère (lié au souffle des vents) renvoient «à la proximité de la mort qui anime cette œuvre».


Ce week-end Stockhausen se referme sur une sélection de Klavierstücke, plus précisément les XII, XIII, XIV et XVI, tous liés au cycle d’opéras Licht qui occupa Stockhausen de 1977 à 2003. Bien qu’extraits de leur jus dramatique, ces «pièces pour piano» exigent de l’exécutant des qualités ayant partie liée avec le théâtre musical. Jan Michiels est l’homme de la situation: armé de mitaines aux deux bras afin de plaquer les clusters, soumettant son corps à toutes les contorsions, sifflant, chuchotant, triturant dans le ventre béant de l’instrument quand il ne secoue pas des grelots, sa performance mérite les éloges. Le Klavierstück XIII nous plonge durant plus de 35 minutes dans la psyché de Lucifer, l’un des personnages centraux de Licht: un voyage musical à la (dé)mesure du créateur qui lui donna le jour... et dont on ne ressort pas indemne.


Signalons pour finir la parution d’un passionnant volume édité par la Philharmonie de Paris consacré aux écrits de Stockhausen, disponibles pour la première fois en français: Karlheinz Stockhausen - Ecouter en découvreur, textes réunis et introduits par Imke Misch, traduits de l’allemand par Laurent Cantagrel et Dennis Collins (444 pages, 32 €).



Jérémie Bigorie

 

 

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