Back
Le feu et la glace Geneva Victoria Hall 01/19/2016 - et 20 (Lausanne), 21 (Genève) janvier 2016 Zoltán Kodály : Galántai Táncok
Ludwig van Beethoven : Concerto pour piano n° 3, opus 37
Béla Bartók : Concerto pour orchestre, sz. 116 David Fray (piano)
Orchestre de la Suisse Romande, Rafael Payare (direction) R. Payare (© Henry Fair)
Après la venue du jeune Lahav Shani, 26 ans, à la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande, voici le tour de Rafael Payare, 34 ans, pétulant Vénézuélien issu d’« El Sistema », dont la chevelure n’est pas sans évoquer celle de David Luis.
La valeur n’attendant pas le nombre des années, Lahav Shami vient d’être nommé premier chef invité de l’Orchestre symphonique de Vienne tandis que Rafael Payare est le directeur musical de l’Orchestre d’Ulster et a dirigé rien moins que l’Orchestre philharmonique de Vienne suite à la disparition de Lorin Maazel (voir ici). Rafael Payare a étudié avec Claudio Abbado, dont on devine l’influence avec ses indications de phrasé à la main gauche, mais la solidité de sa technique n’est pas sans évoquer le fort contrôle qu’exerçait justement le chef américain. Comme Lorin Maazel, les attaques et arrêts sont d’une grande netteté et la mise en place dans ces œuvres si difficiles est très solide. Le passage fugato du milieu du Rondo du Troisième Concerto pour piano de Beethoven est ainsi d’une grande clarté, le rubato des Danses de Galánta très souple et la vitalité rythmique du Concerto pour orchestre de Bartók contagieuse.
Il y a cependant dans sa direction des signes de son jeune âge. Il manque un certain dramatisme, une capacité à caractériser les œuvres et à faire ressortir un petit supplément d’âme au-delà de leurs qualités formelles. Le Concerto pour orchestre de Bartók est une de ses dernières œuvres. Au-delà de la virtuosité orchestrale, le compositeur exprime des moments d’angoisse et de désespoir qu’il faut exprimer. Le chef manque également encore une certaine capacité à faire ressortir une conception d’ensemble, à laisser les phrasés se dérouler avec naturel et ne pas trop diriger mesure par mesure dans le but de maximiser les effets. Mais l’expérience qu’il a déjà accumulée et dont il fait preuve est évidente, son énergie très réelle et il se dégage de sa direction une joie bien enthousiasmante.
L’Orchestre de la Suisse Romande est fidèle à ses qualités et certains de ses petits défauts. Le niveau des bois est très élevé. Il faut souligner le charme qui se dégage du jeu de Michel Westphal à la clarinette ainsi que de la musicalité de Loïc Schneider à la flûte. Les cuivres sont solides mais Rafael Payare abuse peut-être de leur puissance dans certains tutti. Il gagnerait également à ne pas laisser les timbales intervenir avec tant de force. Les cordes ne sont pas toujours à la hauteur et accusent une certaine fatigue dans le redoutable Presto final du Concerto pour orchestre. Dans tous les cas, musiciens et chef se retrouvent à leur meilleur dans des Danses de Galánta très inspirées ainsi que dans l’excellence du Giuocco delle coppie de Bartók.
Ce concert était aussi l’occasion de découvrir le Français David Fray, 34 ans également, qui faisait ses débuts avec l’OSR et probablement à Genève. Sa conception de Troisième Concerto de Beethoven est avant tout chambriste. Son toucher est clair avec une attention à l’équilibre et la clarté des deux mains et la continuité du discours musical. L’orchestre aux forces réduites (quatre contrebasses, six violoncelles...) est au diapason. Il ne cherche pas à faire ressortir la dimension héroïque de l’œuvre et ce Beethoven élégant et intimiste mais un peu froid manque un peu de grandeur. Le pianiste donne en revanche en bis Nun komm, der Heiden Heiland, le superbe choral de Bach transcrit par Busoni, qu’il joue avec beaucoup de retenue et d’intériorité. A-t-il conscience que cette même œuvre a été marquée pour beaucoup par Dinu Lipatti, Roumain par sa naissance mais Genevois de cœur?
L’hiver est enfin arrivé à Genève mais Victoria Hall était bien rempli pour ce concert. Dans cette même salle, son public aura l’occasion de continuer à écouter des grands pianistes puisque viendront rien moins que le vétéran Radu Lupu pour y jouer Mozart et, en février, le cadet de près de dix ans de ces deux jeunes artistes, Daniil Trifonov.
Antoine Lévy-Leboyer
|