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Viva Ciofi

Strasbourg
Opéra national du Rhin
12/11/2015 -  et 13, 15*, 21, 23, 27, 29 décembre 2015 (Strasbourg), 8, 10 janvier 2016 (Mulhouse)
Giuseppe Verdi : La traviata
Patrizia Ciofi (Violetta Valéry), Roberto De Biasio (Alfredo Germont), Etienne Dupuis (Giorgio Germont), Lamia Beuque (Flora Bervoix), Mark Van Arsdale (Gastone), Francis Dudziak (Baron Douphol), Jean-Gabriel Saint-Martin (Marquis d’Obigny), Dilan Ayata (Annina), René Schirrer (Docteur Grenvil)
Chœurs de l’Opéra national du Rhin, Orchestre philharmonique de Strasbourg, Pier Giorgio Morandi (direction)
Vincent Boussard (mise en scène), Vincent Lemaire (décor), Christian Lacroix (costumes), Guido Levi (lumières), Helge Letonja (mouvements)


(© Alain Kaiser)


Image statique pendant le Prélude, joué à rideau ouvert. On entrevoit une silhouette féminine juchée sur un piano, comme prise au piège dans les drapés d’un immense voile transparent. L’image est belle, curieusement familière aussi... Où l’a-t-on vue déjà ? Mais oui, de fait, dans une mise en scène des Pêcheurs de perles, ici-même, et par la même équipe. Serait-ce d’ailleurs, par hasard, exactement le même piano...?


Certes Messieurs Boussard, Lemaire et Lacroix inscrivent volontiers leurs travaux dans une continuité certaine, pour ne pas dire la répétition obstinée des mêmes tics scéniques. Mais cette fois ne serait-ce pas la récurrence de trop ? En tout cas leur production de La Traviata ressemble terriblement à leur vision de I Capuleti e i Montecchi, toujours au répertoire du Nationaltheater de Munich : même statisme habillé de somptueux costumes, même simplification de scènes de groupe articulées autour de détails délibérément réduits en nombre. Pour le bel canto sensible d’un Bellini, c’est probablement suffisant. Pour un drame aussi viscéralement humain que La Traviata, l’exercice de stylisation risque en revanche de susciter des frustrations. Ici un mur réfléchissant coupe la scène de travers, avec la possibilité pour les choristes d’apparaître au-dessus, le parquet déborde en triangle sur la fosse, le fameux piano déjà mentionné sert à tout et n’importe quoi, et puis n’oublions pas quelques rares objets que l’on attrape, repose, reprend (des verres à champagne, le chapeau haut de forme de Germont père...) : il faudrait sans doute un jeu d’acteurs particulièrement intense pour réussir à meubler ces perspectives vides. Or ce n’est que rarement le cas, quelques passages intéressants (les intermèdes chez Flora, à la gestuelle bien construite) ne suffisant pas à compenser de longs tunnels, le plus déconcertant étant sans doute l’acte III tout entier, où rien ne fonctionne. Trop de monde présent dès le début, y compris les Germont père et fils, ce qui est absurde, même au second degré. La lecture de la lettre s’effectue artificiellement en voix off, quant à la mort de l’héroïne, en pleine extase acrobatique, sur le piano bien sûr (il fallait s’y attendre !), elle frise le grotesque... Le metteur en scène paraît s’être torturé les méninges pour repenser le réalisme de ces passages de pure convention. Or à force de distordre confusément les images le résultat n’émeut plus, voire pire : il indiffère.


Heureusement Patrizia Ciofi se charge de rendre la soirée moins figée. Avec elle le feu couve en permanence sous le carcan imposé et sa Violetta a bien le format requis. L’instrument n’a plus sa fraîcheur de naguère, avec même au début quelques répliques très rauques, à la recherche d’une projection qui se dérobe. Mais progressivement tout se remet en place, la chanteuse parvenant même à retrouver une vocalisation sûre et à attraper ses aigus avec de plus en plus d’élégance (mais sans le contre-mi bémol optionnel de la fin du I, définitivement hors de portée). Clairement, aujourd’hui pour Patrizia Ciofi, c’est la Violetta seconde manière, à partir de l’acte II, une fois oubliées les pyrotechnies insouciantes, qui fonctionne le mieux. Dans ces passages d’un pathétique intense, même les aléas d’un timbre qui trahit aujourd’hui le passage des années apportent un supplément de sincérité. Cela dit cette fragilité assumée nous bouleverserait encore davantage si la production ne torturait pas le personnage dans des postures aussi artificielles, surtout à la fin.


Autour du rôle-titre, en net contraste, y compris avec le soin minutieux pris par l’Opéra du Rhin pour distribuer tous les petits rôles, les deux autres voix principales restent en retrait, aux prises avec des insuffisances techniques qui rendent leur prestation inégale. Sans l’enrobage de l’accompagnement d’orchestre, que resterait-il du timbre de Roberto De Biasio, Alfredo plutôt fruste ? Une certaine aisance de vocalisation dans la dangereuse cabalette de l’acte II, des moyens de ténor lyrique intéressants, mais beaucoup de problèmes hâtivement escamotés. Le baryton canadien Etienne Dupuis paraît doté d’un potentiel plus riche et plus sain, mais souvent perturbé par une raideur toute d’une pièce là où au contraire un baryton Verdi devrait trouver d’incessantes rechanges de couleurs voire déployer des trésors de cantabile, ici au mieux esquissés. Belle démonstration de bon goût musical toutefois dans l’impossible cabalette “No, non udrai rimproveri”, ce qui est déjà un bel exploit, pour ce chanteur naturellement doué mais dont on est en droit d’attendre davantage.


En fosse l’Orchestre philharmonique de Strasbourg paraît très concerné et présent, et a convoqué de surcroît pour la circonstance ses meilleurs hautboïste et clarinettiste : un luxe qui n’est pas superflu. De la direction de Pier Giorgio Morandi on apprécie surtout l’efficacité générale, programmation très sûre de ce qui doit être prioritairement souligné. Quelques banalités n’ont pas pu être gommées, mais l’essentiel est sauf.



Laurent Barthel

 

 

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