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La beauté du Rigoletto obscur

Madrid
Teatro Real
12/02/2015 -  et 3, 5, 6, 8, 10, 11, 15*, 16, 19, 20, 23, 26, 27, 29 décembre 2015
Giuseppe Verdi: Rigoletto
Stephen Costello*/Francesco Demuro/Piero Pretti/Ho-Yoon Chung (Il Ducca), Olga Peretyatko*/Lisette Oropesa (Gilda), Leo Nucci/Juan Jesús Rodríguez*/Luca Salsi (Rigoletto), Justina Gringyte*/Barbara di Castri (Maddalena), Andrea Mastroni (Sparafucile), Fernando Radó (Monterone), Alex Sanmartí (Marullo), Gerardo López (Matteo Borsa), Tomeu Bibiloni (Ceprano), Nuria García Arrés (Contessa Ceprano), María José Suárez (Giovanna)
Coro Titular del Teatro Real (Coro Intermezzo), Andrés Máspero (chef de chœur), Orquesta Titular del Teatro Real (Orquesta Sinfónica de Madrid), Nicola Luisotti*/Jordi Bernàcers (direction musicale)
David McVicar (mise en scène), Michael Vale (décors), Tanya McCallin (costumes), Paule Constable (lumières), Leah Hausman (chorégraphie), Justin Way (metteur en scène de la reprise)


J. J. Rodríguez, O. Peretyatko (© Javier del Real/Teatro Real)


La série de représentations de ce Rigoletto du Teatro Real a commencé avec le grand nom de Leo Nucci, attirant nombres de spectateurs fascinés par sa voix et sa présence. Ah, les divi, que ferait le monde de l’opéra sans eux! Mais cela n’a duré que quelque jours, quatre seulement – les divi ne sont pas très prodigues. Mais s’il fallait choisir, peut-être était-il plus opportun d’attendre les débuts de Juan Jesús Rodríguez dans le rôle-titre. Ce fut le mardi 15, avec les autres protagonistes de la première distribution (Peretyatko, Costello, Gringyte). Et cela a vraiment valu la peine.


Il ne fait aucun doute que Juan Jesús Rodríguez est un verdien en tout point. Il a déjà chanté Germont, Iago, Rodrigo, Miller, Ezio et d’autres rôles de Verdi, mais aussi des rôles belcantistes comme Enrico (Lucia) ou Riccardo (Les Puritains), ou «véristes» comme Alfio ou Tonio. Le public attendait de voir et d’entendre ce magnifique baryton andalou, et il n’a pas déçu, même s’il s’est «réservé» un peu au début pour les scènes «fortes», où il a excellé, comme le tableau final, avec une progression émouvante vers la fin affreuse, qu’on connaît bien, et que des voix comme celles-ci peuvent nous faire croire neuves. Le duo avec Peretyatko (père-fille), culminant dans l’air de la vendetta, a été, comme on l’attendait, un de ses moments les plus aboutis de la soirée. Bref, de formidables débuts de Juan Jesús Rodríguez en Rigoletto.


C’était la première des deux distributions, quoique quatre Ducs sont prévus! La très belle voix de Costello, sa belle couleur, son lyrisme pour ainsi dire parfait – il est plus lyrique que léger, malgré l’apparente facilité et la grâce d’émission –, son aspect tout à fait «jeune premier», donnent un Duc comme la pièce le demande, mais un peu trop rare – on n’accumule pas toutes les vertus, les qualités. Entendre les airs bien connus («Questa o quella», «Ella mi fu rapita», «La donna è mobile») ou sa présence dans le quatuor qu’il commence («Bella figlia») a été un de ces plaisirs qui vont au-delà de la routine envers les divi, mais son duo avec Gilda nous transporte dans la vérité nécessaire, incontournable, de l’opéra en tant que théâtre (chanté).


On a déjà mentionné deux fois le rôle de Gilda. La jeune soprano russe Olga Peretytako est, peut-être ou presque sûrement, celle qui a reçu le plus grand triomphe de la soirée et de ces soirées verdiennes. Quelle voix, mon Dieu! La couleur, l’agilité, les vocalises, et quelque chose qui nous étonne: une émission puissante avec, malgré cela, une nuance un peu «enfant», idéale pour bon nombre de rôles du répertoire, idéale, absolument, pour Gilda. En «voyant» chanter Costello et Peretyatko, on dirait Roméo et Juliette. La belle présence, le talent d’actrice, la maîtrise des nuances et des expressions d’une voix privilégiée et une intelligence qui sait l’asservir, la dominer... tout cela nous a donné Olga Peretyatko, dont la voix et la carrière sont dans un moment de bonheur et de plénitude.


Le rôle bref, mais très délicat et pas du tout facile de Maddalena, la sœur du tueur à gages, a été chanté par la quatrième voix magnifique de la distribution, la mezzo lituanienne et britannique Justina Gringyte (Hänsel, Carmen). Elle vient d’interpréter ce même rôle de Maddalena au Bolchoï de Moscou. On souhaiterait la revoir au Teatro Real dans un rôle où elle puisse plus longuement montrer ses qualités.


Il faut aussi mentionner les belles prestations d’Andrea Mastroni, un Sparafucile très satisfaisant, de Fernando Radó, Alex Sanmartí, Gerardo López, Tomeo Bibiloni etc. mais aussi des acteurs, comme Marta Matute, des acteurs muets et très efficaces, nombreux dans le premier tableau, mais présents aussi à côté de chez Rigoletto la nuit de l’enlèvement de Gilda. Ils sont souvent à la base de la mise en scène de McVicar, qu’on ne peut pas considérer comme avant-gardiste, mais encore moins comme traditionnelle. C’est une production déjà connue, provenant de Covent Garden. McVicar, avec les décors de Michael Vale, fuit la splendeur traditionnelle du palais du Duc et laisse un gout sinistre dans la fête, dans l’orgie, même s’il y a une touche d’exagération comme dans les anciens tableaux du type «La Chute de l’Empire romain». Ce quart d’heure magistral de Verdi n’a pas été très bien résolu par le passé, peut-être parce que la musique et la concision extraordinaire y donnent tout. McVicar réussit avec du vrai théâtre, et nous rappelle ce qu’on oublie souvent: on vit dans une ville régie par l’arbitraire, voire la terreur (la prison de Monterone, à l’acte II, un exemple bref et frappant), et pour cela, il n’est pas nécessaire habiller les courtisans en gangsters – cela a été une belle idée, mais une fois suffit. McVicar n’a pas besoin de gangsters: on n’est pas hors la loi, on est la loi, et la loi est l’obscurité et la terreur derrière la belle voix du Duc. La base de la mise en scène de McVicar est le décor inventé par Michael Vale, avec ses deux niveaux, ses échafaudages même, où tout peut changer: palais ou taverne immonde, qu’importe, mais aussi ruelle, extérieur à côté de la rivière, jour, et surtout nuit et orage. Un décor sans prétention de beauté, tout à fait le contraire; mais précis et fonctionnel pour l’action dramatique sans interruption.


Enfin, il faut descendre dans la fosse. La direction de l’orchestre titulaire du théâtre par Nicola Luisotti a été à la hauteur de la distribution et de la mise en scène. Discret, mais très souvent agile, assez dramatique par moments, et aussi nuancé, Luisotti a très bien travaillé avec l’Orchestre du Teatro Real.


Bref, un très beau Rigoletto, avec de la chaleur, du dramatisme, de l’art. On commençait à en perdre l’habitude.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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