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Plein feux sur Lucia Limoges Opéra-Théâtre 11/01/2015 - et 3, 5* novembre 2015 Gaetano Donizetti : Lucia di Lammermoor Venera Gimadieva (Lucia), Boris Pinkhasovich (Enrico), Rame Lahaj (Edgardo), Enguerrand de Hys (Arturo), Deyan Vatchkov (Raimondo), Enrico Casari (Normanno), Majdouline Zerari (Alisa)
Chœur de l’Opéra de Limoges et de l’Opéra de Rouen Normandie, Jacques Maresch (chef de chœur), Orchestre de Limoges et du Limousin, Antonio Allemandi (direction musicale)
Jean-Romain Vesperini (mise en scène), Bruno de Lavenère (scénographie), Thibaut Welchlin (costumes), Christophe Chauplin (lumières)
Ouvrant conjointement la saison à Rouen et Limoges, la production de Lucia di Lamermoor confiée à Jean-Romain Vesperini offre d’abord l’opportunité de célébrer le retour sur les scènes hexagonales de l’incandescente soprano colorature russe Venera Gimadieva, révélée au public français il y a trois ans avec une Traviata – à Limoges, puis Reims – due au même jeune metteur en scène – les Parisiens ont pu en avoir un aperçu grâce au jeu de l’alternance des distributions l’an dernier pour la reprise du spectacle de Benoît Jacquot. On s’en réjouira d’autant qu’avec l’héroïne que Donizetti a importée de Walter Scott, il s’agit, selon son agenda, d’une prise de rôle.
Les accointances de cette voix aérienne avec les volutes du bel canto ne font aucun doute, et ce dès le premier acte, où le personnage en bottes laisse poindre une détermination réaliste trop souvent noyée dans l’évanescente ultérieure. Il faut cependant attendre la seconde partie pour que l’intensité du drame submerge l’élégance et la souplesse de cette ligne pas seulement vocale, capable de modeler l’écoulement du temps au cours du célèbre air de la folie. Sans doute la composition gagnera-t-elle en fluidité, et l’hébétude consécutive au choc subi par la protagoniste lors de la révélation de la supposée trahison d’Edgardo s’emplira-t-elle de sa vulnérabilité, rehaussant peut-être les artifices psychologiques du compositeur bergamasque à la vérité qu’elle instillait à sa Violetta.
Si l’on ne pouvait manquer de placer un projecteur sur une cantatrice que d’aucuns, sourds aux différences évidentes d’idiomes stylistiques, ont voulu, par son glamour, voir comme un nouvel avatar d’Anna Netrebko, le reste du plateau mérite une oreille attentive. Rame Lahaj imprime à Edgardo une fougueuse juvénilité que l’on retrouve chez l’Enrico de Boris Pinkhasovich, à la brutalité vengeresse qui prend parfois l’ascendant sur le galbe mélodique. Enguerrand de Hys limite la pâleur d’Arturo. Mentionnons encore Deyan Vatchkov et Enrico Casari, lesquels campent de respectables Raimondo et Normanno, quand Majdouline Zerari s’acquitte honnêtement des apparitions d’Alisa, la suivante.
Si la partition n’appartient peut-être pas au répertoire instinctif de l’Orchestre de Limoges et du Limousin, Antonio Allemandi en tire une dynamique appréciable, au service de la lisibilité dramatique et des chanteurs, tandis que l’on applaudira la solidité des chœurs, qui, sous la houlette de Jacques Maresch, réunissent les forces limougeaudes aux rouennaises. Quant à la scénographie dessinée par Bruno de Levenère, articulée autour d’une masse cubique tour à tour promontoire ou façade de blockhaus selon qu’elle apparaisse versant adret ou ubac, ses qualités visuelles ne font pas défaut, et servent d’écrin à une direction d’acteurs qui ne quête pas d’inutiles audaces, tout en esquissant une efficace typologie des caractères. L’ensemble se suit sans effort, et conforte l’oreille.
Gilles Charlassier
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