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De très belles voix, mais des niaiseries infantiles

Madrid
Teatro Real
10/27/2015 -  et 30, 31 octobre, 1er, 2*, 3, 4, 6, 8, 10 novembre 2015
Georg Friedrich Haendel: Alcina, HWV 34
Karina Gauvin*/Sofia Soloviy (Alcina), Anna Christy*/María José Moreno (Morgana), Christine Rice/Josè Maria Lo Monaco* (Ruggiero), Sonia Prina*/Angélique Noldus (Bradamante), Lucia Tittoto*/Johannes Weisser (Melisso), Allan Clayton*/Anthony Gregory (Oronte), Erika Escribà*/Francesca Lombardi Mazzulli (Oberto)
Coro et Orquesta Titular del Teatro Real (Orquesta Sinfónica de Madrid), Christopher Moulds (direction musicale)
David Alden (mise en scène), Gideon Davey (décors et costumes), Simon Mills (lumières), Beate Vollack (chorégraphie)


L. Tittoto, C. Rice, S. Prina, E. Escribá (© Javier del Real/Teatro Real)


Les difficultés de mise en scène d’un opéra baroque sont bien connues – d’un opéra baroque et, en général, de n’importe quel opéra du répertoire, immense, infini même, du XVIIIe siècle. La difficulté de base réside dans la succession des arie da capo et des arie «de sortie», que ce soit dans les opéras de Haendel ou dans l’opera seria. Un petit récitatif (souvent pas si petit que cela), l’action s’arrête et un des personnages chante l’aria de ses émotions, ses amours, ses chagrins, ses craintes, sa haine. Et que fait-on des autres personnages et de l’action dramatique pendant les quelques minutes durant lesquelles le personnage chante et tout doit être interrompu? Doit-on laisser tout le monde immobile? Ou bien peut-être, dans une époque habituée à l’action trépidante, saccadée des films et téléfilms, doit-on les obliger à faire toutes sortes de grimaces/gestes, de grimaces/danses? Des grimaces et encore des grimaces prouvant qu’on ne croit pas du tout à la théâtralité de cet opéra baroque, qu’on est là pour sauver la pièce, le directeur musical, l’équipe entière, du naufrage certain de tout opéra comme Alcina, hélas! Et, de plus, on rapproche l’action incroyable et absurde de l’Arioste et de Haendel de notre époque, plus sage, avec un public démocratique, auquel il faut servir ces drôles de banquets, trop exquis pour le goût de notre temps, avec des icônes pop, reconnues par ce public si éloigné du Londres grandiloquent, snob, près de trois siècles plus tard! Des gangsters, des nazis, des blousons noirs d’aujourd’hui surgis des films américains, pas toujours ignobles. N’importe quoi. Woody Allen, par exemple – on aime Woody, bien sûr, mais que vient-il faire ici avec sa Rose pourpre du Caire; il l’aurait fait différemment.


Cette production d’Alcina, capricieuse, est une mise en scène puérile de David Alden (venue de Bordeaux) qui revendique en outre l’actualité (!) de Haendel. (L’actualité, au théâtre, est souvent l’ennemie de la vérité). Et le tout avec une grande générosité en danses de Saint Guy: ils n’arrêtent pas, ils dansent sans arrêt une chorégraphie sommaire et nerveuse de partouze adolescente du temps jadis, en même temps que le chant, le plus souvent très beau et très soigné. Ah, que M. Alden craignait qu’on ne s’ennuie trop avec Haendel! La confusion s’accumule pendant les trois heures de musique (deux entractes non compris), et elle devient progressivement bizarre pendant la troisième partie. On ne s’est certes pas du tout ennuyé, et parfois c’était drôle, amusant, mais au prix d’oublier qu’on était en train de regarder un opéra de Haendel avec des voix et des musiciens excellents. C’était trop oublier, quand même!


Inutile de discuter avec Alden sur la difficulté de trouver concrètement la source de sa mise en scène dans un film de Woody Allen. Il y avait ce soir des choses plus importantes. Comme la direction vive et inspirée de Christopher Moulds, avec un orchestre qui sonnait très bien, malgré sa nature d’orchestre moderne, sans instruments d’époque, hormis deux théorbes et un clavecin. Il faut saluer les musiciens qui sont sur scène pour accompagner quelques airs: Simon Veis, un violoncelle qui fait, avec Anna Christy et l’ensemble, un véritable concerto grosso; Eva Jornet et Melodi Roig, deux excellentes flûtes à bec; et le violon superbe de Victor Ardelean.


L’importance du spectacle, malgré la scène, appartient aux voix de Karina Gauvin, Anna Christy, Sonia Prina ou Josè Maria Lo Monaco, par exemple. Lo Monaco remplaçait Christine Rice, souffrante, et la soprano sicilienne s’est très bien illustrée dans ce rôle – elle le chantait en seconde distribution – pas du tout facile, un des défis de cet opéra plein de pièges et d’occasions de se mettre en valeur. Peut-être Lo Monaco n’a-t-elle pas une voix encore tout à fait appropriée pour le chant baroque, mais son Ruggiero a été convaincant. Je me demande si elle est toujours en train de fuir les exploits auxquels la contraint un metteur en scène encore plus opiniâtre et arbitraire dans sa médiocrité (comme dans la Carmen d’Olivier Py à Lyon). Karina Gauvin a remporté le plus grand succès de la soirée, une chanteuse à la voix puissante, des vocalises en pleine forme, du belcanto à l’état pur. Elle était suivie de très près par Anna Christy, sa «sœur» Morgana, excellente dans la beauté de son chant tout à fait crédible et pénétrant, malgré les niaiseries (gestes, costumes) imposées par la mise en scène. Et aussi de très près par Sonia Prina, excellente Bradamante, à laquelle ce rôle ambigu et travesti va très bien; malheureusement elle apparaît vêtue en fiancée vers la fin de l’opéra, où l’on ne comprend plus rien, même si l’on connaît déjà le livret. Etre de formidables professionnelles comme ces quatre dames du chant et tomber dans les griffes d’un de ces metteurs en scène qui se considèrent comme des égaux de – disons – Robert Carsen! Mais le sont-ils?


Il faut signaler le très beau chant d’Erika Escribà, soprano de Valence, voix d’une très belle couleur, aiguisée et jeune à la fois, très efficace dans son rôle secondaire du jeune Oberto à la recherche de son père hanté et transformé par la magicienne. Enfin, il convient d’accorder une mention honorable aux deux seules voix masculines de la distribution, le Melisso de la basse italienne Luca Tittoto et l’Oronte du ténor britannique Allan Clayton.


Encore une fois, le conseil que Wagner donnait déjà à Bayreuth: ne regardez pas, écoutez seulement.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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