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e-pianiste Strasbourg Palais de la Musique 11/05/2015 - et 6 novembre 2015 Ludwig van Beethoven : Concerto pour piano n° 5 en mi bémol majeur, «L’Empereur», opus 73
Paul Hindemith : Symphonie «Mathis der Maler»
Richard Strauss : Till Eulenspiegels lustige Streiche, opus 28 Valentina Lisitsa (piano)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Marko Letonja
V. Lisitsa (© Gilbert François)
Vous êtes pianiste et rêvez d’une soudaine carrière sous le feu des sunlights ? Essayez toujours de publier quelques vidéos artisanales sur YouTube, ça peut marcher. A quelques conditions, tout de même. Un jeu techniquement propre, quitte à en rajouter un peu pour accrocher l’œil et faire plus inspiré. Et puis quelques atouts physiques aideront. Une blonde silhouette gracile fera meilleure impression qu’un pot à tabac. Et côté messieurs, ne pas hésiter à tirer parti de quelques cadrages rapprochés, sur bouclettes folles et barbe de trois jours, voire sur une musculature présentable en T-shirt...
Pour la pianiste d’origine ukrainienne Valentina Lisitsa la recette a marché au-delà de toute espérance. Au point même d’intéresser une major (Decca), passés les cinquante millions de click sur les mêmes vidéos YouTube. Le buzz est fait, et voilà notre nouvelle star internationale adoubée. Un conte de fées moderne, en quelque sorte. Reste à savoir au bout de combien de temps le carrosse de Cendrillon redeviendra une citrouille.
Valentina Lisitsa a de jolis poignets, des paumes impeccablement creusées, sur des doigts de fer. Ses accords sont tranchants, nets, son délié et ses trilles mécaniquement impeccables. Lui reste à construire une musicalité. D’autant plus que l’œuvre choisie, le Cinquième Concerto de Beethoven, impose d’édifier sur le long terme quelque chose qui ressemble à un discours cohérent. Or ici l’atmosphère se modifie toutes les minutes, à chaque fois schématiquement organisée autour d’un changement de nuances (une fois piano, une fois très fort) ou une discrète variation de tempo. Ajoutons que pour un jeu qui se vend aussi sur son épate technique, la tenue et la propreté des lignes ont tendance à devenir plus relatives sur la durée, comme si la pianiste n’arrivait pas à maintenir sa concentration sur tout un mouvement. Bien triste début d’Adagio aussi, dépourvu de galbe au point de ressembler à un erratique champ de creux et de bosses.
Deux bis ! Etait-ce vraiment utile ? Surtout pour terminer par une Etude opus 10 n° 3 de Chopin qui s’essaie à la componction distinguée et ne réussit qu’à nous rappeler l’époque où cette pauvre pièce se dénommait encore « Tristesse », victime de tous les outrages. Auparavant, La Campanella de Liszt, voulue vaporeuse et légère, surexpose surtout les faiblesses d’un jeu qui ne dépasserait pas le stade des éliminatoires dans un concours de piano international. Le problème étant, précisément, que Valentina Lisitsa s’est fort bien débrouillée pour contourner ce type d’obstacle.
L’Orchestre philharmonique de Strasbourg se retrouve seul face à Marko Letonja pour un travail plus sérieux : l’épineuse Symphonie « Mathis der Maler » de Paul Hindemith, une œuvre splendide, qui n’appartient pas à son répertoire courant. Pour que puisse fonctionner cette construction sur les aplats de couleurs translucides, toute en opposition de timbres plans sur plans, il faut obtenir une cohésion et une netteté de tous les instants. Or si les musiciens sont individuellement prêts, en revanche il leur reste collectivement un travail d’écoute mutuelle et d’homogénéisation à effectuer (en particulier les violons I et II, aux prises avec une écriture redoutable). Plus animée, la « Tentation de saint Antoine » finale est le mouvement qui sonne le mieux. Pour le reste, on est encore en rodage.
Aucun problème en revanche pour Till Eulenspiegel, investi jusqu’au dernier détail avec la maestria et l’aplomb d’une phalange d’élite. L’instrument répond au quart de tour et Marko Letonja peut oser toutes les folies : une véritable mise en scène en technicolor, où chaque anecdote croustille et les instruments deviennent de vrais personnages. Une fin de concert grisante, qui justifie pleinement la pertinence de l’outil symphonique dans notre univers culturel mouvant.
La musique, c’est bien ici, en direct dans une salle, qu’il faut l’apprécier et la vivre. Pas sur YouTube !
Laurent Barthel
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