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Historique !

Strasbourg
Opéra national du Rhin
10/23/2015 -  et 27, 29*, 31 octobre, 3 (Strasbourg), 20, 22 (Mulhouse) novembre 2015
Gabriel Fauré : Pénélope
Anna Caterina Antonacci (Pénélope), Marc Laho (Ulysse), Elodie Méchain (Euryclée), Sarah Laulan (Cléone), Kristina Bitenc (Mélantho), Rocío Pérez (Phylo) Francesca Sorteni (Lydie), Lamia Beuque (Alkandre), Jean-Philippe Lafont (Eumée), Edwin Crossley-Mercer (Eurymaque), Martial Defontaine (Antinoüs), Mark Van Arsdale (Léodès), Arnaud Richard (Ctésippe), Camille Tresmontant (Pisandre), Aline Gozian (Eurynome)
Chœurs de l’Opéra national du Rhin, Orchestre symphonique de Mulhouse, Patrick Davin (direction musicale)
Olivier Py (mise en scène), Pierre-André Weitz (décors et costumes), Bertrand Killy (lumières)


(© Klara Beck)


Brahms n’a jamais écrit d’opéra, pas même essayé. On comprend facilement pourquoi. Schubert, lui, s’y est repris souvent, mais jamais avec succès, faute de fibre dramatique. Fauré, pour en rester à des musiciens de calibre et tempérament équivalents, aura eu au moins le mérite de mener à terme son chantier à lui : cette Pénélope, ouvrage de grandes dimensions, voire de grandes ambitions. Cela en fait-il pour autant un vrai compositeur d’opéra ? Evidemment non, mais ce n’est pas le débat.


Il ne se passe presque rien dans Pénélope, du moins en surface. La théâtralité de Fauré se construit en reliefs mesurés, c’est un dramatisme de l’âme, tout en inflexions subtiles. Mais se passe-t-il davantage de choses dans une pièce de Racine ? Avec de surcroît, pour un opéra, l’obstacle d’une musique qui ne se livre pas facilement, voire nécessite de s’être acclimaté préalablement à d’autres œuvres exigeantes : les grands Nocturnes, le Trio, le Second Quintette, les Mélodies (et surtout celles qui déconcertent le plus : Le Jardin clos, pas Les Roses d’Ispahan...). A défaut, le premier contact peut susciter des réactions négatives, commentaires du public qui n’ont d’ailleurs pas manqué à l’issue de ces représentations strasbourgeoises. Une incompréhension somme toute proche de celle d’un Richard Strauss écoutant pour la première fois Pelléas et Mélisande de Debussy: « Mais il n’y a rien là-dedans... rien du tout ! ».


Du coup, Olivier Py et Pierre André-Weitz ont-ils cédé à la tentation de sur-raconter, ou du moins d’occuper visuellement ceux que cette musique ennuierait ? Leur faire ce reproche serait vraiment un mauvais procès. Place donc à un décor époustouflant : de magnifiques architectures concentriques ajourées tournantes, qui construisent à vue des perspectives constamment renouvelées. Tout en noir, comme d’habitude, baigné de brume, somptueusement éclairé : rien que cet environnement là mérite le déplacement. Avec une seule réserve : le bruit ! Celui de la rotation de ces lourds praticables sur rails, celui aussi du constant pataugeage des acteurs dans la dizaine de centimètres d’eau qui inonde le sol. Magnifique, ce miroir sombre, mais aussi très sonore quand on marche dedans ! Figuration abondante, danseurs à la plastique impeccable venant se mêler aux chanteurs et développant des actions secondaires qui visent, là encore, à meubler. Télémaque en rôle muet, véritable double d’Ulysse en héros jeune, dont les rapports avec Pénélope semblent ambigus, le retour du père semblant réveiller de soudaines pulsions œdipiennes. Pantomimes parfois un peu indigestes à l’arrière-plan, qui racontent des épisodes passés avec un sens de l’imagerie théâtrale naïve dont le raffinement reste indéniable. Et puis, bien sûr, quelques obsessions prévisibles, comme par exemple ce banquet où l’on consomme toutes sortes de plaisirs sur le décor à plusieurs niveaux, avec une température qui monte nettement tout en haut !


L’écrin est là, reste à l’occuper par la densité du jeu scénique. Et quand on dispose d’une actrice de l’intensité d’Anna Caterina Antonacci la partie est gagnée d’avance. Pas besoin de faire courir ou ramper une telle tragédienne : la simple impériosité de la projection et du geste, voire la clarté souveraine de la prononciation suffisent largement. De surcroît, lors de cette troisième représentation, la voix, luxueuse de timbre et plutôt aisée dans l’aigu, semble avoir bien récupéré de quelques ennuis passagers. En revanche l’Ulysse de Marc Laho se fait annoncer enrhumé et doit effectivement déployer des trésors de prudence pour éviter l’accident, parvenant néanmoins à donner une relative consistance à son personnage, même si l’aplomb et l’énergie d’un héros antique lui font clairement défaut. Dans le bref rôle du vieil Eumée on écoute avec sympathie le vétéran Jean-Philippe Lafont, chant désormais en ruines, mais quelle présence ! Parmi les seconds plans on trouve un peu de tout, de très belles voix et des émissions plus fatiguées, le traitement des prétendants d’un seul bloc, invariablement sanglés dans le même uniforme noir, ne favorisant pas beaucoup, de toute façon, la construction individuelle des personnages. On sent là une volonté du metteur en scène de susciter un rejet maximal de tout ce groupe de parasites, en le rendant parfaitement odieux. Mais c’est là une constante bien présente dans le livret, qui reste de toute façon lu de façon parfaitement respectueuse, sans distorsion.


Fauré n’est pas un orchestrateur russe. Son opéra enchaîne les unes après les autres de subtiles mélodies accompagnées, avec en fosse tout l’arsenal de ces parties pianistiques de longue haleine dont il maîtrisait l’art comme personne, et que l’on retrouve simplement à plus grande échelle. Sans rutilances et avec à peine quelques bouffées wagnériennes pour donner davantage de pugnacité au tout. Un véritable défi, que Patrick Davin relève avec l’instrument qu’il a : un Orchestre de Mulhouse en progrès mais dont les cordes restent peu homogènes et les cuivres s’anémient sans préavis. Pourtant la soirée avance bien, presque miraculeusement bien d’ailleurs, et on entrevoit finalement, grâce surtout à l’apport décisif du rôle-titre, le chef d’oeuvre rêvé par Fauré : pas vraiment un opéra, sans doute, mais un inépuisable réservoir de beautés.


Après l’Ariane de Dukas présentée au printemps dernier, l’Opéra national du Rhin a donc bien réussi l’autre volet de ce qu’Olivier Py et Pierre-André Weitz ont ouvertement conçu comme un diptyque, en utilisant des ingrédients plastiques et dramatiques voisins. Des spectacles dont on se souviendra, par-delà les réactions épidermiques, comme de deux événements majeurs dans l’histoire de la maison.


Le spectacle sur le site d’Arte:






Laurent Barthel

 

 

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