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Rien que la musique

Paris
Philharmonie 1
10/10/2015 -  et 19 (Birmingham), 20 (London) octobre 2015
Richard Strauss : Don Juan, opus 20
Wolfgang Amadeus Mozart : Concerto pour piano n° 27, K. 595
Richard Strauss : Ein Heldenleben, opus 40

Maria João Pires
Gewandhausorchester Leipzig, Riccardo Chailly (direction)


R. Chailly (© Jens Gerber)


La venue pour la première fois à la Philharmonie de Paris de l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig et de son directeur musical, Riccardo Chailly, était un événement particulièrement attendu, notamment car ce dernier, en poste depuis 2005, a annoncé qu’il quitterait Leipzig à l’été 2016. Après Vienne, et avant Londres et Birmingham, la première étape parisienne de cette tournée européenne a permis de s’assurer, une nouvelle fois, de l’extraordinaire alchimie entre le chef italien et l’un des plus vieux et des meilleurs orchestres du monde. Au programme, Mozart et Strauss, une association naturelle quand on connaît la passion du second pour le premier, qu’il a d’ailleurs souvent dirigé à la tête de cet orchestre.


Dès l’attaque haletante des cordes qui débute Don Juan, Chailly crée une ambiance à la fois puissante et joyeuse qui illuminera l’ensemble de l’interprétation. Cette brève et dense pièce, à l’orchestration rutilante, révèle les infinies qualités de cette formation décidément unique et qui, fait rare, joue avec les contrebasses à jardin et les harpes à cour. L’unisson parfait des cordes, l’élégance des bois, notamment du hautbois solo, et la puissance, jamais exagérée, en même temps que la précision des cuivres, participent à cette lecture magistrale. Chailly, à la gestique flamboyante et précise, suggère plus qu’il n’impose et va chercher la musique partout où elle se trouve, y compris dans les détails et les nuances. Malgré les nombreuses ruptures, voire les silences, et les incessants contrastes intrinsèques à cette musique tourmentée, l’interprétation construite sur la longueur et la ligne donne en fin de compte un Don Juan qui n’a que rarement sonné aussi conquérant, lumineux et sensuel.


Le dernier concerto pour piano de Mozart, donné ici avec une trentaine de cordes, est sans aucun doute parmi les musiques les plus touchantes de son auteur. Maria João Pires, manifestement ici chez elle, joue avec sensibilité, précision et élégance, et sans aucune afféterie, une musique qui, sous ses doigts délicats, devient un poignant mélange de tendresse et de gravité, mais elle n’oublie pas d’y distiller la grâce mozartienne. Les trois mouvements dressent avec un égal bonheur autant de climats intimes baignés d’une belle nostalgie apaisée. Il faut dire que Chailly ménage un accompagnement d’une incomparable élégance, jamais heurté, et d’un raffinement supérieur, les cordes du Gewandhaus rivalisant avec des bois fruités et des cors souples. La complicité entre chef et soliste est à chaque instant palpable et l’émotion qui se dégage de ce Mozart, grave mais pas triste, beau et lumineux, réussit à captiver un public qu’on a souvent connu moins attentif: un signe qui ne trompe pas. En bis, Maria João Pires offre une sobre, délicate et sereine bagatelle de Beethoven. Quelle artiste!


Mais c’est sans aucun doute Une vie de héros qui constituait le plat de résistance de ce copieux concert. Véritable autobiographie du compositeur remplie de citations d’œuvres antérieures, cette pièce, encore plus décousue que le Don Juan, a elle aussi permis au Gewandhaus de Leipzig de briller de mille feux. Les épisodes successifs depuis le premier («Le Héros»), où le legato des cordes et la puissance des pizzicati impressionnent, jusqu’au dernier («Retraite du héros et accomplissement»), durant lequel les cuivres réalisent un diminuendo que seuls de très grands orchestres peuvent offrir, constituent pour un orchestre symphonique autant de morceaux de bravoure. Entre-temps, les autres épisodes laisseront place à des interventions magistrales de la flûte solo et de son opposé absolu, le tuba, qui gémit dans les profondeurs de sa tessiture («Les Adversaires du héros»), puis au magnifique et acrobatique violon solo de Frank-Michael Erben («La Compagne du héros»), aux trompettes hors scène («Le Combat du héros») qui annoncent un cataclysme tellurique sollicitant toutes les percussions et l’impressionnant et imperturbable timbalier Tom Greenleaves, avant que Strauss ne se cite à foison dans l’avant-dernière section, pleine d’un lyrisme exacerbé à la limite de l’exagération («Les Œuvres de paix du héros»). Tous ces épisodes sont menés avec passion, expertise et gourmandise par un Chailly manifestement heureux et qui maîtrise chaque seconde d’une interprétation constamment passionnante. L’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig, troisième artisan de cette soirée d’exception, est une nouvelle fois apparu comme l’un des meilleurs ensembles symphoniques du moment. Le chef letton Andris Nelsons, qui succédera à Riccardo Chailly à partir de la saison 2017-2018, a bien de la chance.


On l’aura compris, ce concert par des musiciens au sommet de leur art et mettant leur talent au seul service de la musique fut un rare bonheur. Vivement la suite!


Le site de l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig



Gilles Lesur

 

 

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