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Baroque cosmopolite Périgueux Chancelade (Abbaye) 08/26/2015 -
L’ensemble Stradivaria
Il y a un quart de siècle, Michel et David Théodoridès faisaient le pari d’inscrire, chaque dernière semaine d’août, la musique baroque au cœur du Périgord. On ne saurait mieux dire qu’il a été tenu avec succès, et l’édition 2015, qui prend des allures anniversaire, le confirme éloquemment. Si la clôture dans le parc Gamenson de Périgueux affirme une évidente tournure festive sous le signe des Water et Fireworks Music de Haendel, avec pyrotechnie à l’appui, la programmation n’en balaie pas moins un large spectre de saveurs et styles, ce que la journée du 26 août, en l’abbaye de Chancelade, démontre brillamment.
Marc-Antoine Charpentier : Méditations pour le Carême: 1. «Desolatione desolata est terra», H. 380, 2. «Sicut pullus hirundinis», H. 381, 7. «Tenebrae factae sunt», H. 386, & 8. «Stabat mater dolorosa», H. 387
Louis-Nicolas Clérambault : Motet à trois voix «O piissima, o sanctissima»
Marin Marais : Tombeau de M. de Sainte-Colombe
Sébastien de Brossard : Motet pour basse «O plenus irarum dies» – Motet à trois voix «O Domine, qui refugium» – Motet à deux voix «Salve rex Christe»
Johann Jakob Froberger : Tombeau fait à Paris sur la mort de M. de Blancrocher
François Couperin : Les Sylvains
Stephen Collardelle (haute-contre), Matthieu Chapuis (taille), Etienne Bazola (basse-taille)
Ensemble Les Surprises: Juliette Guignard (viole de gambe), Etienne Galletier (théorbe), Louis-Noël Bestion de Camboulas (direction, clavecin et orgue)
Soutenu par la région Aquitaine et en résidence à Bordeaux, l’ensemble Les Surprises propose, pour le concert de l’après-midi, un spicilège de «songes sacrés», pièces religieuses où l’inspiration revêt des accents presque théâtraux. Placés sous la houlette de Louis-Noël de Camboulas, les solistes détaillent cette expressivité du texte voisine du monde lyrique avec un naturel sensible et sans ostentation. Le Desolatione desolata est terra de Charpentier (extrait des Méditations pour le Carême), que l’on retrouve en bis, ouvre le programme sous le signe d’une intensité remarquable, où la fluidité du tuilage des voix du canon participe de la décantation intérieure qui s’en dégage. A cette aune, les trois pupitres, vigilants à la restitution de la prononciation versaillaise, se complètent, du désincarné haute-contre Stephen Collardelle, à la basse-taille dense d’Etienne Bazola, en passant par le soigneux ténor Matthieu Chapuis.
On retrouve ces qualités dans Sicut pullus hirundinis du même recueil. Le motet de Clérambault O piissima, o sanctissima ne le démentira pas, tandis qu’on appréciera la solidité chantante de la basse dans le premier des trois motets de Sébastien de Brossard, O plenus irarum dies. Les deux suivants, O Domine, qui refugium et Salve rex Christe, renouent avec les vertus de la collégialité. A leur dépouillement répond celui de Tenebrae factae sunt et Stabat mater, refermant la boucle avec un Charpentier lumineux, loin des sentimentalités dolosives transalpines. Le corpus est scandé par des tombeaux, prières instrumentales profanes à la gloire de défunts, à l’instar du Tombeau de M. de Sainte-Colombe de Marin Marais, où le velouté élégant de la viole de Juliette Guignard agit tel un baume, quand Les Sylvains de Couperin distillent la poésie décantée du théorbe d’Etienne Galletier, après le Tombeau fait à Paris sur la mort de M. de Blancrocher de Froberger, où Louis-Noël Bestion de Camboulas démontre une sensibilité retenue.
Georg Friedrich Haendel : Concerto grosso en sol majeur, opus 6 n° 1, HWV 319 – Concerto pour deux violoncelles et cordes en ut mineur
Antonio Vivaldi : Concertos pour violoncelle en sol mineur, RV 416, et en si mineur, RV 424 – Concerto pour deux violons en ré mineur, opus 3 n° 11
Raphaël Pidoux (violoncelle), Ensemble Stradivaria: Laetitia Gillardot, Françoise Duffaud, Stephen Dudermel, Camille Aubert (violon), sophie Cerf (alto), Pascale Jaupart (violoncelle), Brigitte Quentin (contrebasse), Jocelyn Cuiller (clavecin), Daniel Cuiller (direction et violon solo)
Le soir, l’Italie monte en chaire devant une foule au complet, avec de brillants concertos de Haendel et Vivaldi, sous la houlette de Daniel Cuiller, avec Stradivaria, auxquels se joint, sans façon pour des orthodoxies étroites, Raphaël Pidoux, le violoncelle du Trio Wanderer. L’inventivité mélodique et coloriste du Prêtre roux éclate dans le Concerto pour deux violons opus 3 n° 11 ou les deux Concertos pour violoncelle RV416 et RV424. Du «caro Sassone», on reconnaîtra la robustesse et l’éclat du Concerto grosso opus 6 n° 1, comme la générosité du Concerto à deux violoncelles en ut mineur, avant un bis sous des latitudes très préromantiques avec le Largo du Concerto pour violoncelle en la mineur de Carl Philipp Emmanuel Bach. Mentionnons enfin les concerts de 15 heures, libres d’accès, qui constituent une opportunité de découvrir de jeunes musiciens, autant que des trésors cachés du patrimoine, à l’image du retable à peine centenaire de la petite église de La Chapelle-Gonaguet.
Gilles Charlassier
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